Fermée pendant l’hiver, la petite cahute de briques jaunes installée à la Daurade abreuve Toulousains et touristes l’été venu. Des clients qui batifolent paisiblement, ignorant le passé mortifère du lieu. Quel funeste héritage se cache dans les entrailles de cette sympathique buvette ?
Les pieds de chaise grincent à rythme régulier sur le parquet de la terrasse du port de la Daurade. Quand un client s’assoit, une autre se lève et le balai continue jusque tard dans la nuit. Aux Pêcheurs de Sable, l’été bat son plein. Juste au-dessus, Olivier descend lentement la rampe qui mène au port, en lisant distraitement les panneaux d’information : « Ah oui, il y avait ici de nombreuses activités liées au fleuve. J’imagine que la buvette était à l’époque un local technique utilisé par les marchands de sable. » L’hypothèse semble évidente parlant d’une échoppe baptisée Les Pêcheurs de Sable, mais n’essaie-t-on pas de nous endormir ?
Le nom du bar fait référence à un métier pratiqué sur les rives de la Garonne jusqu’au début du XXe siècle. Au moment des basses eaux, les pêcheurs de sable sortaient leurs écopes. Ils embarquaient ensuite sur des barges à fond plat, larges d’un mètre à peine, mais d’une longueur pouvant aller jusqu’à 15 mètres. Après avoir amassé plusieurs mètres cubes de sable, ces récolteurs de grains revendaient le matériau aux maçons, pour fabriquer du ciment.
A part perturber le transport naturel de sédiments dans le lit de la Garonne, il n’y avait pas mort d’hommes. Un peu à l’écart sur un banc, Jeanne observe avec extase des pirates en herbe à l’abordage d’un bateau de bois : « C’est bien, ici. Les enfants peuvent jouer tranquillement. Avant la rénovation, je n’osais pas venir, il y avait des gens louches et des cadavres partout. » Les corps auxquels fait référence la retraitée n’étaient toutefois que les épaves de verre ou de métal laissées par les fêtards.
Assise juste en face du bar, Frédérique noircit un carnet avec concentration. La gérante est occupée à répartir les horaires de ses 12 employés. Pressée d’en finir, elle ne met pas longtemps à passer à table : « Le bâtiment a servi de morgue. Les corps des noyés de la Garonne y étaient entreposés. À l’époque, un cours d’eau enfoui passait juste au-dessus. Par infiltration, un goutte à goutte d’eau tombait en permanence sur les corps et les tenait au frais. » La source de la Daurade a depuis été déviée, mais elle est toujours visible à travers une vitre, au milieu de la place. Son eau sert désormais à conserver le vivant, puisqu’elle permet d’arroser les espaces verts alentour.
Autrefois, les Toulousains venaient donc aux Pêcheurs de Sable pour identifier le corps d’un proche disparu dans le fleuve. Aujourd’hui, s’ils s’agglutinent toujours devant un frigo, c’est pour le corps sensuel et allongé d’une bouteille bien fraîche.
Gabriel Haurillon
La rédaction
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Commentaires
Paulet le 09/09/2024 à 16:43
Effectivement les buvettes remplacent les morgues...
Daurade morgue des noyés....
Dalbade morque des pestiférés....
Thierry le 09/09/2024 à 16:14
Pour l'information du journaliste, le sable sert aux maçons à fabriquer du mortier ou du béton, absolument pas du ciment (il faut un four à 1500 degrés pour en faire !).