Les Graff tours de l’Office de tourisme font le plein. Ces visites révèlent tout un pan de l’histoire du street art toulousain, longtemps underground et désormais reconnu au grand jour, bien au-delà de la Ville rose. Chacune de ces balades est unique car de nouveaux tags apparaissent constamment.
® Franck Alix« Vous êtes en face d’un dinosaure », lance le graffeur Fabien Flavor, alias Mile. Une trentaine de personnes lèvenr les yeux sur une fresque dans un petit coin de verdure insoupçonné du quartier Arnaud-Bernard en centre-ville de Toulouse, le jardin d’Embarthe. Devant les jeux pour enfants, un pan de mur arbore des couleurs en partie recouvertes par le lierre. L’artiste, qui accompagne la guide pour les Graff tours de l’Office de tourisme, décrit : « On observe d’abord le style booble. Au-dessus, le wild style. Le graff légal est né ici », dans les années 1980, avec le collectif Arnaud Bernard Système, qui deviendra la Truskool.
Il faut se rendre rue Gramat, à deux pas de là, pour mieux comprendre. Les murs, les encadrements de fenêtres, les portes, toute la ruelle est recouverte de tags (la signature, la marque de fabrique) et de graffitis. Au début, ces fresques sont apparues malgré l’opposition des riverains, avant de trouver grâce aux yeux de certains puis de s’imposer lors de festivals. C’est là tout le paradoxe du graffiti. Tour à tour interdit, toléré, effacé (il faut se souvenir du grand nettoyage des années 2000) puis réhabilité… Aujourd’hui, les festivals se multiplient, dont l’incontournable Mister Freeze qui se déroule jusqu’au 7 octobre.
En 2017, la municipalité avait même commandé une fresque de 30 mètres de haut sur le boulevard d’Arcole. On y retrouve tous les grands blases (le pseudo du tagueur) locaux : Siker, Ceet, 2Pon, Soone, Tober, Dern et Tilt se partagent le mur de haut en bas.
Le Graff tour se poursuit en bus, hors du centre-ville, loin des parcours touristiques habituels, car la majorité des œuvres sont réalisées dans les quartiers. À commencer par les Minimes. Derrière la Maison de la pétanque, 100Taur a signé “Les chimères des anges”, une fresque de 390 mètres carrés, sur fond noir, avec gastéropodes et cyclopes. « Elle a été bien accueillie par certains riverains mais d’autres n’ont pas compris », explique la guide Eléna Bourdaries, avant d’ajouter que c’est bien grâce à cette œuvre que des cars de touriste traversent désormais le quartier.
De retour dans le bus, direction l’ancienne gare de Raynal, le street-artiste Mile en profite pour rappeler pourquoi les graffeurs ont toujours peint sur des wagons : « Cela permet de montrer que l’on existe car les trains voyagent et emportent notre signature. » En passant à côté de la gare Matabiau, la guide indique successivement un long mur autogéré par le Collectif 50cinq, une péniche taguée sur le canal, une fresque sur le mur d’une école, une autre au pont des Demoiselles… Près du métro Saint-Agne, une gracieuse marionnette bleue à la robe de dentelle semble bouger légèrement sur un mur empli de calligraphies.
Un détail saute aux yeux : peu de filles évoluent dans ce milieu. À Toulouse, trois noms émergent : ceux de Miss Kat, Miss Van, qui a signé la douce “Symphonie des anges”, quai de Tounis, lors du festival Rose Béton de 2016, et Fafi, à qui l’on doit le festival Walk on the pink side en 2015 et les “Fafinettes”, ces dessins de pépées sexy.
Le bus stoppe maintenant au milieu des barres d’immeubles d’Empalot. Une tache noire et blanche, pas très engageante, apparaît sur un mur. Une fois l’arête du bâtiment contournée, c’est le choc. Immense, Nina vous fait face. Toute ridée, le regard bienveillant, mélancolique, slave… « Nina est Sibérienne. L’artiste Henrik Beikirch fait le tour du monde et réalise des portraits de gens simples », raconte Elena Bourdaries. Il les conçoit d’abord en acrylique et en petit format, « puis il utilise une nacelle et peint à main levée, bande par bande, comme une imprimante », s’enthousiasme le guide-artiste.
Tandis qu’elle donne ses explications, des jeunes du quartier passent en voiture et baissent leur vitre : « Surtout, allez voir l’autre… », lancent-ils, signalant l’autre portrait signé Beikirch, à une centaine de mètres : un berger berbère. Leur conseil est d’autant plus précieux que l’immeuble va être prochainement détruit, faisant disparaître avec lui la fresque. Une illustration symbolique de l’essence éphémère du street art.
De fait, le tableau urbain est en perpétuelle mutation. « La plupart des artistes continuent de peindre dans la rue », conclut Mile. « Si vous revenez sur le Graff tour, ce sera complètement différent. Ça évolue sous nos yeux et c’est ça qui est passionnant », garantit Elena Bourdaries.
Prochaines visites : lundi 22 octobre à 14h30, mercredi 31 octobre à 14h30, mercredi 21 novembre à 14h30, samedi 1er décembre à 14h30. Départ place des Tiercerettes.
Tarif : 15 €.
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