Twitter, Instagram, Snapchat, à Toulouse comme dans de nombreuses villes de France, les trafiquants de drogue font ouvertement leur publicité sur les réseaux sociaux. Du deal 2.0 qui ne passe pas inaperçu, mais que la police peine à contrecarrer.
#shit #beuh #cocaïne. Livraison à domicile, service discret, 100% satisfait ou remboursé… Depuis quelque temps, des annonces illustrées de photos explicites et promouvant ouvertement la vente de drogues sur les réseaux sociaux encombrent les fils d’actualités. Un trafic en ligne dont la publicité ostentatoire interroge. Qui sont ces dealers 2.0. et comment peuvent-ils opérer impunément, parfois à visage découvert ?
Que ce soit sur Twitter, Instagram ou Snapchat, il n’est pas rare de tomber sur des posts représentant des photos de sachets de marijuana, de boîtes de pilules ou de pains de cannabis soigneusement mis en valeur. Le tout accompagné d’un numéro de téléphone pour passer commande. « Ce phénomène existe depuis déjà quelque temps. La nouveauté, c’est qu’avant, cela se passait sur le darkweb alors que maintenant, cela se passe sur le web grand public. Sur Snapchat, Instagram, Facebook et même Tinder, un like suffit pour prendre contact. Les échanges se font par messages privés et certains trafiquants utilisent des modes de paiement dématérialisés par bitcoin, des points de vente relais ou des livraisons par colis. De tout temps, la délinquance s’est adaptée », explique David Porte, le secrétaire général de la Fédération professionnelle indépendante de la police (FPIP), le plus ancien syndicat de la profession.
« C’est le développement des messageries cryptées comme WhatsApp ou Telegram qui a permis l’essor de ce commerce en ligne, il y a maintenant presque deux ans », confirme Steve Bonet, directeur de la communication et du marketing chez Atchik, une société toulousaine spécialisée dans la modération de contenus sur internet. Celui-ci a d’ailleurs constaté que cette activité touche toutes les grandes villes de France. « Sur Twitter, elle peut représenter par moments jusqu’à 10 % des publications liées au mot-clé Toulouse. Sur celui de Lorient on atteint même parfois les 80 % de posts proposant de la drogue », ajoute-t-il.
Une activité qui ne semble pas déranger plus que ça les réseaux sociaux, peu soucieux de modérer ce commerce illégal. « Même si Twitter a les moyens de le faire, leur politique est plutôt de favoriser la liberté d’expression. Ils ne peuvent pas bannir pour de simples hashtags. Si le contenu n’est pas signalé et qu’il ne gêne personne, ça leur passe au-dessus », explique Steve Bonet.
Si les évolutions technologiques ont souvent été un support pour organiser les réseaux ou l’approvisionnement des trafiquants, elles leur auront rarement offert une telle vitrine. « Les trafiquants reprennent les codes du e-marketing. Par exemple, ils planifient des ventes flash sur l’application Snapchat qui présente l’avantage de proposer du contenu éphémère. Ce qui rend plus difficile la tâche de la police qui doit collecter des éléments de preuve », détaille Steve Bonet. Et si les trafiquants semblent facilement identifiables, le travail d’enquête est moins aisé qu’il n’y paraît. « La majorité de ces comptes sont créés avec des dispositifs d’anonymisation des connexions. Il est alors plus compliqué de remonter à la source. C’est un premier écran », précise-t-il.
Une difficulté qui s’ajoute à la nécessité, pour les forces de l’ordre, de constater un flagrant délit de vente pour pouvoir engager les poursuites. « Ce n’est pas compliqué si nous intervenons suite à une dénonciation », souligne David Porte. Pour lui, le principal frein à la lutte contre ce trafic, en ligne comme dans la rue, c’est le manque d’effectifs sur le terrain. « Les services de police sont débordés. Il y a tellement d’affaires que nous ne pouvons pas toutes les traiter. Pour les grosses enquêtes sur des délinquants importants, nous avons des services spécialisés et nous pouvons nous appuyer sur les services de renseignement », ajoute ce dernier. D’autant que l’émergence de ce trafic en ligne n’a pas nécessairement réduit celui des points de vente physiques habituels.
Les comptes les plus importants proposent même des livraisons dans tout le pays. « On trouve différents types de profils. Des anciens qui se modernisent aux petits délinquants qui gèrent leur business tranquillement depuis leur canapé, en passant par de gros réseaux ou une mère de famille qui veut arrondir ses fins de mois », détaille l’agent de police qui déplore que les trafiquants n’aient « plus peur des forces de l’ordre et du cadre légal. »
Une désinhibition qui se traduit même dans la vie réelle. « Récemment, une de mes collègues a assisté à du démarchage pour un service de vente de drogues en ligne sur la Prairie des filtres. Un homme distribuait des flyers faisant la publicité d’un compte snapchat ainsi que des échantillons gratuits. C’est clairement du e-commerce », raconte Steve Bonet, stupéfait.
Par ailleurs, cette démocratisation du trafic de stupéfiants qui s’émancipe de son habituelle clandestinité inquiète David Porte. « Quelque qui n’est pas affranchi peut désormais facilement trouver ces produits. Il y a aussi un danger pour les plus jeunes qui sont hyper connectés. Un enfant de douze ans peut se retrouver involontairement confronté à ce genre de propositions » alerte le représentant syndical.
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