Chaque jour, ils bloquent des centaines de messages à caractère raciste, homophobe ou injurieux. Les modérateurs de la société Atchik chassent, pour leurs clients, les contenus n’ayant pas leur place sur Internet. D’un site de rencontre au compte Facebook de l’Élysée, ils sont les arbitres du vivre ensemble sur le Net.
® Franck AlixSans eux, Internet serait totalement désinhibé. Un monstre incontrôlable atteint du syndrome de Gilles de La Tourette, de paranoïa et de tendances exhibitionnistes. Au troisième étage d’un immeuble toulousain, dans les locaux de la société Atchik, une vingtaine de jeunes gens passe leurs journées à éplucher des publications et commentaires d’internautes. Ce qui, pour la plupart d’entre nous, s’apparente à une perte de temps est ici une occupation sérieuse. Une tâche aux lourds enjeux, exigeant finesse et détachement. La pression est d’autant plus grande que les salariés de cette société spécialisée dans la modération de conversations en ligne ont sous leur responsabilité, entre autres, les comptes Facebook de l’Élysée et d’Emmanuel Macron.
« C’est un métier fondamental. Nous sommes à la fois garants de la liberté d’expression, du respect de la loi et des personnes. En tant qu’administrateurs de communautés, nous devons également identifier et valoriser les contenus intéressants », introduit Steve Bonet, directeur marketing et communication de cette entreprise qui compte une cinquantaine de clients. Au total, plusieurs millions de messages sont triés ici mensuellement. Chacun des employés en traitant près de 3 000 par jour, parmi lesquels plusieurs centaines seront refusés pour leur caractère haineux.
Aujourd’hui, la journée est calme. L’actualité, seulement émaillée de quelques faits divers, ne soulève pas les foules. Et les trolls, désœuvrés, se tiennent relativement sages. À part un ou deux amalgames racistes, pas grand-chose à jeter à la corbeille. « Nous repérons très rapidement la tendance du jour. Si l’actu est basée sur des contenus polémiques, nous redoublons de vigilance », explique Noémie Ortiz, modératrice et chargée de veille depuis dix ans. À ses côtés, une collègue travaille à faire respecter la norme éditoriale des photos de profil d’un site de rencontre qui refuse les portraits mal cadrés et les corps trop dénudés. Malgré ses abdominaux parfaitement dessinés, un jeune éphèbe devra se trouver un autre cliché pour aguicher. Un écart anodin en comparaison des fanfarons s’exhibant armés ou en possession de drogue.
« Nous ne sommes ni des justiciers ni des inquisiteurs »
« La modération consiste à autoriser la publication d’un message selon certains prérequis. D’une part, la charte du site Internet, qui peut par exemple choisir de bannir la vulgarité. Et, d’autre part, le cadre légal », explique Steve Bonet, qui rappelle qu’en France, le négationnisme comme l’apologie de la haine, du racisme et du terrorisme sont des délits. « Conformément à notre obligation, nous signalons systématiquement ces propos. De même pour les menaces de mort et les messages suicidaires. En ce qui concerne le racisme, nous sommes débordés », déplore le responsable, qui continue de s’atteler régulièrement à des tâches de modération. « Nous ne sommes ni des justiciers ni des inquisiteurs. Il est impératif d’accepter les opinions, même quand elles sont très éloignées de nos valeurs », ajoute Noémie Ortiz.
« Il n’existe pas de formation professionnelle. Quand de nouvelles personnes intègrent la société, nous leur apprenons à identifier ce qui relève de l’injure, de la diffamation et de la désinformation. Nous leur demandons également de vérifier systématiquement les informations douteuses. C’est un métier qui nécessite un solide sens de la déduction et une excellente culture générale », explique Steve Bonet. Parfois, la différence est ténue et tient à un simple accord de verbe. « Dans les cas qui mettent en cause des personnes, nous sommes attentifs à l’usage du conditionnel afin de ne pas porter atteinte à la présomption d’innocence », illustre-t-il.
« J’ai vu tant de choses que plus rien ne me choque »
Mais les temps ne sont pas toujours aussi paisibles. La journée des attentats du 13 novembre 2015, et la divulgation de photos des victimes, a été l’une des plus dures. « C’est un métier qui peut s’avérer éprouvant », concède le responsable, avant d’évoquer sa première confrontation à la violence d’une image pédopornographique. Un psychologue du travail est ainsi à disposition des équipes et les employés ont la possibilité de passer le relais si le besoin s’en fait sentir. « J’ai vu tant de choses que plus rien ne me choque. Mais, avec la fatigue, on peut se faire rattraper par l’émotion », confie Noémie Ortiz, qui a mis en place des mécanismes de détachement. « Nous en rions entre nous pour dédramatiser. Avec l’expérience, nous parvenons à faire une lecture rapide et à ne nous arrêter que sur les mots clés, sans entrer dans le détail des propos haineux. Ce qui prime, c’est la satisfaction de se dire que, sur les espaces que nous administrons, les personnes se conforment à la loi et se respectent entre elles », conclut-elle.
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