OPEN SOURCE. Il n’y a pas que sur le net que le libre se développe. Les pieds bien dans la terre, le mouvement des Incroyables Comestibles invite chacun à jardiner, planter ou même seulement récolter fruits et légumes, au cœur de l’espace urbain. À Toulouse, il n’est plus rare de tomber nez à nez avec des plants de tomate, en pleine rue, dans des endroits incongrus.
Franck Alix / JT
À l’heure du rendez-vous, la « green guérilla » est bien maigre, il faut l’avouer. Un couple de trentenaires et une étudiante sont attablés au Zinzin, crêperie bio du quartier Arnaud Bernard, en attendant Pascal Bordier, l’initiateur de l’événement. « C’est bien ici les Incroyables Comestibles ? », demande un nouvel arrivant, en passant ses dreadlocks à travers la porte. Comme ce militant associatif, les autres personnes ont eu vent du rendez-vous sur Internet et viennent pour la première fois, attirés par la démarche. « J’ai entendu parler des Incroyables Comestibles, mais je ne savais pas que ça se faisait à Toulouse. J’avais envie de voir en quoi ça consiste exactement », explique Delphine.
Pascal, le coordinateur local du mouvement arrive justement et, après une brève présentation, embarque la petite troupe direction la rue Lascrosses, lieu de jardinage du jour. Sur le chemin, les rangs s’épaississent un peu tandis que le guide développe la genèse du projet : « Comme toute bonne initiative, celle des Incroyables Comestibles s’est très vite répandue, notamment en France. Cela fait quatre ans que l’on a débuté à Toulouse. Nous avons investi plusieurs lieux où des gens viennent jardiner, un peu tout le temps. Et tous les mois, j’organise un rendez-vous avec, à chaque fois, de nouvelles personnes qui viennent. Ce n’est pas très structuré, il y a même sûrement des potagers urbains que je ne connais pas dans la ville ».
Cette agriculture participative, qui propose les récoltes en partage libre, est née en 2008 dans la petite ville anglaise de Todmorden, à l’initiative de citoyens désirant faire revivre leur ville. Thomas, qui rejoint la troupe, est spécialement venu d’Ariège pour mieux comprendre le phénomène. « On peut avoir des à priori sur l’agriculture urbaine, mais il me paraît logique que cela se développe. 80 % de la population habite en ville et les gens ont tout simplement envie de jardiner là où ils vivent », avance-t-il. Arrivés devant une rangée de massifs en béton, pour la plupart à l’abandon, qui bordent un immeuble, les maraîchers en herbe s’activent. Certains ont apporté leurs gants, d’autres des petits outils. Mission nettoyage d’abord, avant que Pascal ne sorte un gros sac de terreau pour fertiliser la terre. « On est dans l’espace public mais ces massifs sont privés. C’est une bizarrerie architecturale qui était certainement prévue dans le projet d’immeuble. On ne demande jamais l’autorisation. On jardine d’abord et ensuite on contacte les propriétaires. Cela peut arriver, mais les refus sont rares », raconte Pascal Bordier, formateur en permaculture et véritable activiste du jardinage. Selon ce dernier, Toulouse regorge de petits ou grands espaces à investir. Il les repère en se baladant à vélo : « C’est comme pour les squats, il y a beaucoup plus de lieux potentiels que de squatters. Les incroyables Comestibles, c’est aussi une façon d’apprendre à regarder la ville autrement ». Outre la rue Lascrosses, des potagers urbains ont ainsi vu le jour rue des Amidonniers, rue du Cimetière, le long du canal du midi ou à l’écluse Saint-Pierre, tout près de la place éponyme, le plus emblématique.
Accroupi à l’intérieur d’un bac, Pascal se livre à un véritable cours d’agriculture devant un groupe très attentif. Car c’est une certitude, la grande majorité des participants au mouvement n’ont pas pour but premier de profiter de leur labeur, mais de tisser du lien social et d’engranger des connaissances. C’est le cas de Sandra, la trentaine, ancienne conductrice de travaux : « Rien à voir, lâche-t-elle en riant. J’ai eu envie de carrément changer de vie, d’aller vers quelque chose qui a du sens. J’aimerais faire du jardinage mon métier, alors je suis là pour apprendre ».
Avant de se disperser, la troupe n’oublie pas de disposer le panneau « Nourriture à partager », bien en évidence, comme à tous les endroits investis par les Incroyables Comestibles. Selon les saisons, tomates, framboises, menthe fraîche ou consoudes sont ainsi à ramasser librement à Toulouse. Une pratique pas tout à fait rentrée dans les mœurs toutefois. Rares sont les passants qui osent se servir. Quelques arrachages de pieds sont aussi à déplorer ici et là. Mais pour Pascal Bordier, l’invitation vaut surtout pour son aspect contagieux : « L’idée est d’impulser un élan collectif et de montrer qu’il n’y a pas de fatalité. Si on veut créer un potager à Toulouse, il suffit de décider de le faire. Il y a de la place partout, le potentiel de la ville est largement sous-estimé ».
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