HISSEZ HAUT. À Saint-Cyprien, pour qui a envie d’une assiette de tapas accompagnée d’un verre de vin, un mot revient souvent au coin des lèvres : Estrapade. Connue de tous, la place triangulaire porte pourtant un toponyme à l’évocation mystérieuse. Le JT est allé enquêter sur cet endroit où les Toulousains n’ont pas toujours pris du bon temps.
Par Gabriel Haurillon
« Estrapade ? Estrapade ! Estrapade. » Installé à une table du Vasco le Gamma, Daniel se répète le mot à voix haute. « Cela me fait penser à “escapade”, l’action de s’échapper », finit-il par lâcher, avant de se rafraîchir les idées d’une gorgée de bière. Assise à côté de lui, sa compagne, Gabriela, s’interroge également : «Je suis Espagnole, pour moi ‘’tapada’’, ça veut dire couvert ou couvercle. Carmen, la serveuse passe prendre leur commande. Elle demande un instant de réflexion avant de s’exprimer sur le nom de la place. Après quelques allers-retours de son comptoir aux tables, elle revient, l’air un peu plus assuré : « Il me semble que c’était une place publique où il se passait quelque chose. » Gabriela et Daniel ne sont pas plus avancés.
Virginie, native du quartier, a, elle, une autre théorie : «Je crois depuis toute petite que ça a un rapport avec le poisson. ‘’Estrapade’’, ça sonne un peu comme espadon. En plus, avant, il y avait un poissonnier à la place du coiffeur. Un vrai, avec les bottes jaunes.»
Le morceau de trottoir réservé aux terrasses est plein à craquer. Le restaurant L’Extrapade ne désemplit pas. Simon, le serveur, s’agite derrière le comptoir : « L’estrapade était une sorte d’écartèlement, une torture pratiquée au Moyen-âge », explique-t-il, sans grande conviction.
Peut-être torturait-on ici des gens avec du poisson pourri ?
«Suivez-moi», entre deux découpes de charcuterie, Romain se dirige vers une table de l’Esquina, son épicerie espagnole où Pascal et Christine, la soixantaine, y terminent leurs verres de vin blanc. «Il y avait une guillotine avant, c’est là qu’on coupait les têtes», explique-t-elle calmement. «Pas du tout», l’interrompt Pascal, «escapader, ça voulait dire qu’on pendait les gens par les pieds, qu’on les hissait avant de sectionner la corde pour qu’ils retombent par terre !»
Des informations confirmées par le Dictionnaire des rues de Toulouse de Pierre Salies. Selon l’ouvrage, il s’agirait d’un «supplice qui consiste à monter et à laisser tomber avec un tourniquet, deux ou trois fois plus ou moins, un soldat bien lié qui a fait des fautes, mais ne mérite pas la mort.» L’estrapade désigne ainsi la haute potence utilisée pour pratiquer cette torture du Moyen-âge. La place porte donc le nom des sévices qui s’y déroulaient. Si le lieu reste animé, les Toulousains préfèrent aujourd’hui y entendre les verres tinter que les os craquer.
La rédaction
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