Tradition. Depuis la dernière organisée en 2007 à Fenouillet, seule la commune de Rieumes accueille encore une corrida en Haute-Garonne, pourtant de nombreux clubs taurins sont recensés sur le département. Comment alors maintenir une tradition qui ne se traduit plus concrètement, qui sont ces aficionados qui s’y emploient et peuvent-ils devenir un enjeu politique ?
La question a été tranchée par le tribunal administratif de Paris (3 avril 2013), la corrida est désormais inscrite au patrimoine culturel immatériel de la France. De même, les spectacles taurins, avec mise à mort, sont légalement autorisés dans le Sud de la France où ils constituent une tradition ininterrompue comme le confirme Jérôme Loison, président de l’ARAC (Association rieumoise pour l’abolition de la corrida) : « Un ligne imaginaire a été tracée de Bordeaux à Fréjus. Au-dessus les corridas sont interdites et punies de 2 ans d’emprisonnement et 30 000€ d’amende, en-dessous elles sont autorisées. » Ainsi, Toulouse fait partie intégrante de cette tradition taurine désormais reconnue. Pourtant, on a beau chercher, hormis Rieumes, aucune corrida sur l’horizon haut-garonnais. « Cette culture n’oblige en rien à organiser des corridas ou des ferias pour exister. La mise en place de manifestations telles des conférences sur la tauromachie, des rassemblements pour suivre l’actualité taurine… suffit à l’entretenir », explique Pascal Londero, président du Club taurin Paul Ricard de Toulouse. C’est donc ce que s’efforcent de faire la douzaine de clubs présents en Haute-Garonne, dont six sur la seule ville rose. Composés de passionnés de la tauromachie, ils comptent en moyenne une centaine d’adhérents chacun avec pour objectif commun : « faire revenir les taureaux à Toulouse », comme le scande Pascal Londero. Car effectivement, ces derniers ont déserté. « Les corridas sont mortes d’elles-mêmes car les aficionados sont vieillissants depuis longtemps et que ce type de spectacles n’intéresse plus grand monde », constate Jérôme Loison. Mais selon les présidents de clubs taurins, dont celui de Paul Ricard Toulouse : « Ce n’est plus le cas ! Les jeunes reviennent dans les arènes. Il ne s’agit plus de manifestations réservées à une élite souvent âgée ! » D’ailleurs le club de Pascal Londero ne s’est constitué que l’année dernière et le Bureau affiche une moyenne d’âge de 30 ans.
« Nous organiserons une manifestation taurine aux abords de Toulouse »
Une nouvelle génération de passionnés semble donc voir le jour au grand dam des anti-corridas. Les deux « camps » jettent toute leur énergie à défendre leur position, en s’accordant toutefois sur un point : l’organisation d’une corrida coûte cher. Et il s’agit peut-être de la raison principale pour laquelle la Haute-Garonne n’en compte plus qu’une seule. L’issu des différents procès étant souvent à l’avantage des clubs taurins organisateurs, « nous avons gagné les 15 qui nous ont été intentés », précise Yves Samyn, président du Club taurin de Rieumes, ce n’est donc plus les considérations judiciaires qui peuvent faire avorter un projet mais bel et bien les budgets. « A Rieumes, le Club Taurin a dépensé 180 000€ pour l’organisation de la corrida, et encore, nous ne faisons pas appel à des « figuras » (vedettes de la tauromachie) », confesse l’organisateur du spectacle rieumois, précisant même que les subventions ne représentent que 0.5% du budget. « C’est pour cela que nous ne sommes pas inquiets, mais nous restons vigilants », prétend Jérôme Loison. Pourtant rien ne dit qu’un club taurin ne pourra organiser de corridas s’il parvient à lever des fonds : « Une manifestation taurine ne nécessite pas d’autorisation particulière si elle a lieu sur un terrain privé, mais ce scénario est quasi impossible au vu des 5 hectares nécessaire en moyenne. En revanche, si elle doit avoir lieu sur un emplacement public, la municipalité doit en accorder la jouissance, autant dire que l’organisation dépend de la volonté politique », lance Dominique Valmary de la Fédération. Son but, tenter de profiter de l’appui de certains députés et sénateurs pour débloquer des subventions nationales et européennes plus importantes. Alors la tradition tant soutenue par les clubs toulousains pourrait bien refaire surface, car quelques figures politiques s’affichent publiquement en faveur des corridas. Jean-Michel Lattes, premier adjoint au maire de Toulouse, n’a jamais caché sa passion pour le « « taureau brave », mais aussi l’ex-sénateur et ancien conseiller général Bertrand Auban, les sénateurs François Fortassin et Pierre Médevielle, le conseiller départemental Didier Cujives » qu’Yves Samyn voit se rendre aux arènes.
« Les corridas sont mortes d’elles-mêmes »
En revanche, la défense ou la lutte contre la tauromachie peut vite s’avérer dangereux en politique ou du moins servir ou desservir, et les antis et pros corridas l’ont bien compris. D’ailleurs, le président du Club taurin de Rieumes se souvient de la famille Baudis, qui « ne souhaitait pas s’engager dans sa ville et préférait assister à des spectacles taurins ailleurs, loin, pour ne pas être qualifiée de pro-corridas. » D’autre à l’inverse, comme Claudie Marcos à Fenouillet, ont intégré la lutte contre les corridas à leur campagne municipale. L’influence est donc réelle même si les clubs taurins disent ne pas avoir besoin des politiques pour organiser des spectacles privés, pour preuve à Fenouillet où l’on n’entend plus parler de corrida depuis le mandat de Claudie Marcos. Et pour ceux qui gardent l’espoir d’un retour des taureaux dans la ville rose, il s’agit d’un problème de taille. Depuis la disparition des Arènes du Soleil d’Or à Toulouse, l’installation de nouvelles infrastructures semblent difficiles, « il faut alors qu’une municipalité de la première couronne se mouille pour proposer un terrain sur lequel pourrait avoir lieu la corrida », lance Yves Samyn comme un appel, avant de révéler que « la mairie de Castanet s’était portée volontaire il y a deux ans mais devant les pressions des antis, a fini par renoncer ! » Pourtant, au Club taurin Paul Ricard, on y croit : « d’ici la fin de l’année, nous organiserons une manifestation taurine aux abords de Toulouse. » D’après nos informations, il ne s’agirait pas d’une corrida mais plutôt de courses landaises et de test du bétail d’élevage, histoire d’initier les Toulousains aux jeux taurins et de permettre à l’animal de mettre un premier sabot dans la ville des Arènes du Soleil d’Or, dont beaucoup d’aficionados restent nostalgiques.
BONUS WEB
Les clubs taurins toulousains
Réactions de Marie Aguila de Domecq, préparateur mental de toreros et apoderada du torero Santiago Sanchez Mejia (manager de Santiago Sanchez Mejia)
Que pensez-vous de l’engagement des clubs taurins toulousains pour ramener les taureaux dans la ville rose ?
Que deviendrait la tauromachie sans les clubs taurins? Grâce à ces passionnés, bénévoles et connaisseurs, la tauromachie en France est plus vivante que jamais. Les clubs taurins, comme ceux existants sur Toulouse, ont contribué à ce que la Tauromachie soit inscrite au patrimoine Culturel Immatériel de la France. Ils organisent des déplacements, suivent des toreros, remplissent les arènes… Ils ont un rôle pédagogique et, bien souvent, ils permettent, par leur appui financier, à des jeunes toreros de débuter. Ils ont une passion, ils la défendent avec respect, bien souvent face à des adversaires violents. Vraiment leur rôle est fondamental.
Existe-il un profil type des adhérents aux clubs taurins ?
Non, on peut croiser des aficionados qui ont plus de quarante ans de passion, des jeunes qui commencent à s’intéresser à la corrida, des femmes en bon nombre… Ce sont des lieux ouverts où se côtoient toutes les classes sociales. C’est la force de la tauromachie!
Quel regard portez-vous sur ces clubs, vous qui vous situez plutôt du côté des “figuras”?
Les toreros leur sont reconnaissants, car ils retrouvent dans les ferias des membres qui sont devenus des amis, ils sont sensibles à cette fidélité. Quand un club taurin a parié sur un jeune et que celui-ci tout à coup réussi, un lien spécial se créé. Les « figuras » apprécient aussi, hors saison de pouvoir parler de leur profession dans les tables rondes que les clubs organisent.
Faites-vous, vous-même, partie d’un club taurin?
Je fais partie de plusieurs club taurin, d’abord parce qu’avant d’être professionnelle je suis aficionada et j’ai plaisir à me retrouver avec les gens qui partagent la même passion que moi. Par ailleurs, je dois souligner que grâce à l’aide du Club Taurin Paul Ricard de Toulouse, j’ai pu organiser il y a quelques années une exposition passionnante sur l’histoire de la tauromachie à Toulouse et grâce à d’autres j’ai pu donner des conférences sur la peur du torero. Ainsi, ce genre de club contribue à la diffusion de la culture taurine.
Toulouse est-elle particulièrement active dans ce domaine ?
Oui, parce que comme le disait Claude Nougaro, l’Espagne pousse un peu sa corne ici. Il faut savoir qu’il y a eu des arènes aux Amidonniers, sur les allées de Barcelone, au Busca et à Balma, qui garde, je crois, une rue des arènes. Le musée de l’Affiche de Toulouse conserve des pièces magnifiques de cette époque. Sans oublier les Arènes du Soleil d’Or qui ont vu défiler les plus grandes « figuras ». Édifiée en 1953, elles étaient alors les plus pentues pour permettre à tous de profiter du spectacle. Son infirmerie était la plus moderne d’Europe et elles donnaient à l’époque plus de corridas qu’à Nîmes. Hélas elles ont été détruites en 1989. La tauromachie est enracinée à Toulouse et c’est ce qui rend très actifs les clubs taurins de la ville rose.
Comment expliquer alors que malgré les nombreux passionnés toulousains, il n’y a plus de concrétisation de cette passion, Rieumes étant seule corrida dans le département?
Parce que lorsque la politique et l’économie s’en mêlent, tout devient très compliqué. C’est aussi difficile avec la crise de monter de tels projets. Penser qu’avant la crise il se donnait près de 1500 spectacles taurins en Espagne et qu’il y a deux ans on ne pouvait organiser que 580 spectacles!
La tauromachie a-t-elle sa place à Toulouse?
Oui, toute sa place. Quand la feria de Fenouillet existait, c’était une fête formidable avec les plus grandes « figuras » et des arènes pleines! Les organisateurs avaient fait un pari fou, et je crois qu’ils peuvent être fiers de ce projet magnifique, dont on peut garder un souvenir formidable grâce au livre de Catherine Labrunie. Les organisateurs ont osé, alors pourquoi ne pas penser à un projet nouveau, différent mais qui permettra aux Toulousains de vivre leur passion de toujours.
Les clubs taurins peuvent-ils avoir assez de poids pour réhabiliter les corridas à Toulouse?
C’est aux aficionados de montrer le poids de leur désir, de revendiquer, à travers leurs clubs, auprès des élus, leur volonté de voir des corridas à Toulouse. Les aficionados auront le dernier mot s’ils continuent à se battre ensemble pour leur passion, s’ils remplissent les arènes, s’ils remplissent les salles de conférence. Si l’on accepte d’entendre, avec raison, les arguments des anti-taurins, écoutons avec attention la force des aficionados qui croient en la liberté de pouvoir vivre la tauromachie qu’ils défendent.
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