Davantage préservés des traitements chimiques, les centres-villes sont de plus en plus considérés comme un refuge pour les abeilles. Le Journal Toulousain grimpe sur le toit d’une banque pour voir comment vivent ces butineuses.
Par Delphine Tayac
Ce vendredi après-midi de vacances, les bureaux de la Caisse d’Épargne de la rue du Languedoc sont presque vides. Pas grand monde pour assister à une scène insolite : Olivier Ambrosino, apiculteur des villes, passe dans les couloirs feutrés avec sa combinaison et ses outils. Comme tous les 15 jours, il vient rendre visite aux trois ruches installées sur le toit de l’établissement par la société Biocenys.
Une salariée de la banque lui ouvre la porte de la terrasse du dernier étage. L’apiculteur entame alors son rituel. Il enfile sa combinaison blanche puis remplit son enfumoir. «Cette fumée froide me permet d’avertir les abeilles de ma présence. Il s’agit de lavande pilée et séchée, une odeur qu’elles apprécient», explique-t-il en activant le soufflet. Le voilà prêt à rendre visite aux butineuses installées là depuis six mois.
Il grimpe par l’étroit escalier de métal qui mène au toit. Là-haut, la vue est imprenable sur les sommets en tuiles rouges des maisons du centre-ville. Olivier Ambrosino ouvre le couvercle de la première ruche. Il sort un cadre, le tourne d’un côté puis de l’autre. Ses gestes sont lents et précis. «J’ai appris à m’adapter à elles, si je suis trop brusque elles me rappellent à l’ordre en me piquant, mais le risque est faible, elles sont vraiment paisibles.» Lorsqu’elle installe des ruches en ville, la société Biocenys veille en effet à choisir des insectes de la souche de Buckfast, une race réputée notamment pour son calme.
Après quelques minutes d’observation, le professionnel rend un premier verdict. «Elles ont beaucoup de réserve de nourriture, c’est une bonne nouvelle. Je vois la différence avec mes ruchers à la campagne où les haies ont disparu et la monoculture domine. Les abeilles ont plus de difficultés à trouver du pollen. Ici, je n’ai quasiment pas besoin d’apporter de sucre en guise de complément alimentaire.» La ville ne réserve pas non plus de mauvaise surprise au printemps, à la période d’épandage des traitements phytosanitaires. «Les services des espaces verts de la mairie n’utilisent plus de pesticide et une loi vient d’être votée pour généraliser leur interdiction en ville. Je constate ainsi moins de morts massives qu’en zone rurale», explique-t-il en inspectant la deuxième ruche.
En ville, je n’ai quasiment pas besoin d’apporter de sucre en guise de complément alimentaire
Un cadre préservé qui convainc de plus en plus d’acteurs publics et privés d’élever ces insectes. À Toulouse, une soixantaine de ruches seraient installées au cœur de la ville, dans les jardins du Museum, sur les immeubles du bailleur social Habitat Toulouse, sur le toit du Casino Barrière, à France Télécom, chez Dodin, une entreprise du groupe Vinci… Et l’air de rien, ce geste soutient aussi les apiculteurs professionnels locaux. Cela permet par exemple à Olivier Ambrosino d’avoir un complément de revenus en plus de ses deux cents ruches installées en banlieue toulousaine. Cette année, les récoltes de miel français sont en baisse de 60 à 80 % par rapport à 2015. «C’est la combinaison d’un printemps humide, du parasite varroa et des traitements chimiques. En m’occupant des ruches de Biocenys, je peux faire entrer de la trésorerie.»
En ville, le principal problème vient des frelons qui se nourrissent du sang des butineuses. Au cours de son intervention, l’apiculteur est interrompu par une dizaine de nuisibles. Pour l’instant, il a trouvé la parade en installant des trappes à l’entrée des ruches. Elles laissent une ouverture de huit millimètres, qui permet aux abeilles de passer mais est trop fine pour leurs prédateurs. «Ce que fait Biocenys ici est très important. Avec ces cheptels citadins, on peut espérer que les abeilles, à force de se faire attaquer, développent un système de défense contre les frelons. En Asie, certaines d’entre elles ont appris à les étouffer.»
Une fois les ruches inspectées, il redescend sur la terrasse. «Alors quand est-ce que nous aurons du miel ?» s’enquièrent des salariés en train de fumer leur cigarette. Olivier Ambrosino improvise alors un cours express d’apiculture. Les premiers pots de miel seront disponibles d’ici un an, le temps de laisser aux butineuses le soin de constituer leur réserve alimentaire. Et si les prochaines années sont bonnes, chaque ruche pourrait produire jusqu’à 25 kilos de miel. Selon l’apiculteur, cela vaut le coup d’être patient. «Elles vont butiner jusqu’à trois kilomètres, du tilleul que l’on trouve tout au long du Canal du Midi, les fleurs du Grand Rond et tous les balcons fleuris par les Toulousains. Cela donne un miel très liquide et très fruité», lance-t-il en rangeant son matériel.
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