[Economie] Patrick Thaunay « Replacer l’humain au cœur de l’entreprise »
Collaboratif. Réinventer le monde des PME, c’est le rêve de Patrick Thaunay, fondateur et président de la société toulousaine Autantyk. Après avoir organisé une Journée de l’entreprise libérée, il livre ici les leviers permettant d’atteindre le modèle de l’entreprise du futur.
Patrick Thaunay, vous avez la conviction que le monde économique doit changer ?
Nous sommes de plus en plus nombreux à le penser. Le système actuel pose problème, quand on sait que l’économie réelle représente moins de 2% de l’ensemble des transactions financières. Notre économie est essentiellement virtuelle et spéculative, et génère tous les excès que l’on connaît ainsi qu’une pression énorme sur les entreprises et leurs salariés. Tout s’accélère, l’économie devient mondiale, il faut alors réinventer le monde de l’entreprise, notamment celui des PME qui doivent s’adapter en se tournant vers l’économie collaborative pour mutualiser les investissements, les locaux, partager l’expérience. Il ne faut plus que les chefs d’entreprise soient isolés.
Pour aider à cette transformation, vous avez créé Autantyk. Quelle est la mission de cette entreprise ?
La société, qui a vocation à devenir un groupement (Société à capital variable), replace l’humain au cœur de l’entreprise en réfléchissant à des solutions mutualisées. On constate que dans une économie mondialisée, les marges baissent, il faut donc soulager l’entreprise en termes d’investissements et de charges. D’abord, en repensant les lieux de travail : il est difficile pour une PME d’occuper seul un bâtiment car l’entreprise peut être en croissance aujourd’hui mais en baisse d’activité demain. La mutualisation de l’espace peut donc être une solution. Nous proposons donc des locaux qui peuvent héberger plusieurs entités. De même, les investissements peuvent être partagés (l’embauche en temps partagé, mettre des fournitures en commun…), tout comme l’expérience et les idées. Bref, aller vers un mode collaboratif.
Ensuite, la nouvelle génération n’acceptera pas les conditions de travail de leurs aînés. Pour eux, le salaire passe après la qualité de vie au travail et le sens qu’on lui donne. Les entreprises doivent donc retravailler le management. Nous avons créé l’Autantyk school pour former les dirigeants de demain au savoir-être et aux techniques de management collaboratif. De même, il faut repenser la place du travail au quotidien et décloisonner le monde entrepreneurial vers l’extérieur. Est-il nécessaire de passer sa vie à travailler et de ne pas avoir le temps de s’épanouir ? Nous prônons les temps de respirations pour les salariés, notamment à travers la culture.
Pour finir, Autantyk met à disposition de porteurs de projets son réseau pour lutter contre l’isolement.
« L’argent n’est pas une finalité, c’est un moyen »
Ces innovations proviennent d’un constat d’échec. Qu’est-ce qui ne fonctionne plus aujourd’hui ?
La finance a fait son temps et nous devons revenir au rapport à la nature, à l’humain. C’est une hérésie de penser qu’il faut être en constante croissance. Que l’argent soit concentré dans les mains de 10% de la population mondiale est inconcevable. L’argent a pris trop d’importance et il ne permet pas d’acheter le bonheur ! Les sous-traitants, partenaires et fournisseurs, subissent la recherche de la croissance à tout prix pour satisfaire des actionnaires. Aujourd’hui, tout le monde le pense, même dans les grands groupes. Les cadres des grosses entreprises souffrent de ce constat car ils font l’intermédiaire et doivent assurer la rémunération des actionnaires en mettant la pression sur les sous-traitants. Revenons vers des cercles plus vertueux. L’argent n’est pas une finalité, c’est un moyen.
Pour réinventer le monde économique, vous évoquez “l’entreprise libérée”…
Aujourd’hui, on ne peut plus développer une entreprise sur un mode de gouvernance classique : un patron et des collaborateurs qui appliquent les décisions. Notre monde est beaucoup plus complexe et il convient d’être pointu dans tous les domaines, or le chef d’entreprise n’est qu’un chef d’orchestre et ce sont les musiciens qui jouent la partition. Autrement dit, dans l’entreprise idéale, les salariés, spécialistes dans leur domaine, savent ce qu’ils doivent faire au quotidien car ce sont eux qui détiennent le savoir-faire. Ils doivent avoir un droit de regard sur la stratégie. C’est en fait, une évolution de la manière de gérer une entreprise et du management.
Quels avantages offre “l’entreprise libérée” aux chefs d’entreprise et aux salariés ?
Pour les employés, cela met en valeur leur travail et leur permet de prendre des responsabilités. Pour les dirigeants, cela évite de tout porter, seuls, puisqu’ils peuvent s’appuyer sur leurs collaborateurs. De même, les bonnes idées ne venant pas d’un seul cerveau, ils auront plus de chance de ne pas faire d’erreurs. Enfin, pour tous, les relations humaines en sont améliorées.
Pourquoi une “entreprise libérée” pourrait être économiquement plus viable qu’une autre ?
Gérer une entreprise aujourd’hui est difficile. Tout va plus vite, les innovations se succèdent, les clients sont plus exigeants, la concurrence est démultipliée, la pression financière est plus forte… Ainsi, ce sont les entreprises qui utiliseront toute leur capacité, toute leur puissance intellectuelle d’action qui s’en sortiront le mieux. Pour moi, seules les entreprises qui parviendront à travailler en mode collaboratif, en donnant de l’autonomie et des responsabilités à leurs salariés, parviendront à innover et être pérennes.