Il y’a la fête des voisins et des voisins qui sont à la fête ! Empiètement sur le terrain d’autrui, envahissement des plantations, des haies ou des arbustes, ouverture sauvage d’une fenêtre, remplacement de la clôture, mitoyenneté des murs, surélévation, appui sur les murs, bornage. Nous vous proposons un petit « tour », en plusieurs étapes, du propriétaire et du voisin !
Le Français aime sa propriété mais face à ceux qui veulent faire respecter leurs droits et ceux qui s’estiment être légitimes à faire ce qu’ils veulent, soit pour protéger leur intimité, soit par laxisme et parfois pour « nuire » à leurs voisins : il y a des droits, des interdits et des limites. Dans les relations entre voisins, le « retour de bâton » est parfois très important car la résistance, injustifiée dans les faits et infondés en droit, peut entrainer des dommages et intérêts et des contraintes, sous forme d’astreinte, qui peuvent s’avérer très lourdes, sur un plan financier.
La Cour de Cassation était très sévère et elle ordonnait systématiquement la démolition de l’ouvrage même s’il empiétait seulement de quelques millimètres. Elle se fondait sur une interprétation rigoriste de l’article 545 du code civil qui précise : « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. ». La propriété est fondée sur des limites qui ne sauraient être dépassées. On aimerait qu’il en soit de même pour le secret de l’instruction, et notamment la publication dans les journaux renommés, dès le lendemain, des extraits des auditions des mis en examen ! mais c’est une autre question. Depuis un arrêt du 23 juin 2015 (n° 14-11.870), la Cour de Cassation a accepté de prendre en compte un principe de proportionnalité qui invite, plus qu’il n’oblige le juge, à rechercher si une solution technique ne peut pas être mise en place, dès lors qu’elle est de nature à faire cesser l’empiètement. Dans le cas d’espèce, l’empiètement provenait d’un enduit de façade et la juridiction a admis que le grattage de l’enduit suffisait à réparer l’empiètement du mur sur la propriété du demandeur à la démolition. Par trois arrêts du 10 novembre 2016, la Cour de Cassation va préciser sa jurisprudence sur l’empiètement de la propriété d’autrui : elle admet toujours une solution alternative à la démolition mais à condition que celle-ci soit de nature à mettre fin à l’empiètement, sinon le principe de la démolition subsiste. Mais à partir de 2017 et plus précisément dans un arrêt du 21 décembre 2017 (16-25.406), elle semble revenir à son ancienne position de principe, en réaffirmant : « Tout propriétaire est en droit d’obtenir la démolition d’un ouvrage empiétant sur son fonds, sans que son action puisse donner lieu à faute ou à abus. ». Il apparait que la Cour de Cassation désire à nouveau confirmer le principe d’une démolition quasi systématique, puisque sa 3ème chambre, réunie en assemblée plénière, va consacrer ce principe et rejeter toutes les critiques développées à partir des dispositions de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des citoyens. C’est ce qu’elle fait, dans un arrêt du 17 mai 2018 où elle indique : « l’expulsion et la démolition étant les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien, l’ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété » (3e Civ., 17 mai 2018, pourvoi no 16-15.792, publié au Bulletin).
Je viens d’acquérir une maison avec jardin, voisine d’une villa avec terrain ; les deux propriétés sont séparées par un mur plein et mon voisin m’indique que celui-ci est sa propriété et qu’il est donc privatif. Le code civil édicte une présomption de mitoyenneté, qui est exposée dans l’article 653 du code civil : « Dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu’à l’héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen s’il n’y a titre ou marque du contraire. ». Cette présomption tombe lorsque les actes de propriété donnent des indications précises sur le caractère privatif ou non du mur séparatif mais si ce n’est pas le cas, il faut examiner l’ouvrage afin de déceler les « marques du contraire » : Quelles sont-elles ? Le code civil en donne la liste, dans l’article 654, qui a été rédigé en 1804 mérite une « traduction » contemporaine. Ainsi, lorsque le sommet du mur n’a qu’une pente, le mur est censé appartenir au propriétaire du terrain vers lequel la pente est inclinée ; si le mur dispose d’un sommet à deux pentes, il est présumé mitoyen, lorsque le mur présente d’un seul côté, un aménagement de tuiles, d’ardoises, de ciment placés au sommet du mur qui empêche la pluie de ruisseler le long de celui-ci, lorsqu’il comprend une corniche, une saillie ou encore des corbeaux de pierre c’est-à-dire des éléments destinés à supporter un linteau, le mur est présumé appartenir exclusivement au propriétaire du côté duquel se trouve ces signes. Bien évidemment, l’énumération faite par l’article 654 n’est pas exhaustive et il est parfaitement possible de présenter d’autres marques de nature à établir le caractère privatif ou mitoyen du mur.
Non seulement votre voisin peut surélever le mur mitoyen mais il peut le faire sans votre autorisation comme le précise l’article 658 du Code civil. Le voisin n’est pas tenu de participer aux frais liés au rehaussement du mur sauf s’il désire acquérir la mitoyenneté de la partie réhaussée. En revanche, le voisin qui procède à la surélévation du mur mitoyen, doit en assumer les frais et s’il est nécessaire de consolider le mur à partir duquel il compte opérer, voire de le démolir pour le reconstruire afin d’en permettre la surélévation, cela sera encore à la charge de celui qui a décidé des travaux de rehaussement. Il est à noter que le mur ainsi rehaussé, présente deux natures : l’ancien mur mitoyen conserve sa qualité de mur mitoyen et la partie rehaussée est désormais privative à celui qui a réalisé les travaux. Votre voisin est également en droit de construire contre le mur mitoyen et dans ce cas, l’ouvrage qui sera par définition installée sur son propre fond, sera exclusivement privatif.
Le droit de clore est un attribut du droit de propriété, comme l’affirme l’article 647 du Code civil : « Tout propriétaire peut clore son héritage » à condition de ne pas enclaver son voisin, de ne pas empiéter sur le terrain voisin et de respecter diverses règles d’intérêt général. Je viens de rénover une ferme et je désire installer une clôture, où puis-je l’installer, dois-je demander l’autorisation au propriétaire voisin ? Il est évident qu’il ne faut pas empiéter sur le terrain voisin car la Justice pourra ordonner la démolition de la clôture. Les tribunaux faisaient une application très stricte du droit de propriété et de l’article 545 du code civil : dans un cas où une clôture empiétait de 0,5 cm, la Cour de cassation dans un arrêt du 20 mars 2002 est venue casser un arrêt d’une cour d’appel qui n’avait pas ordonné la démolition en rappelant qu’en statuant ainsi, « alors que peu importe la mesure de l’empiètement, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » Depuis lors, comme nous l’avons vu pour les murs de séparation, la Cour de cassation est venue assouplir sa jurisprudence et celle que nous avons cité en début de notre article, tout comme les dispositions que nous avons rappelé relativement à la mitoyenneté, ont vocation à s’appliquer aux clôtures de séparation de fonds voisins. Vous pouvez également poser librement votre clôture sans avoir l’obligation de demander l’autorisation à votre voisin mais il est sans doute préférable, pour se protéger contre une réaction légitime, de prévenir celui-ci de votre volonté d’installer une clôture.
Si vous décidez unilatéralement d’installer celle-ci et si votre voisin prévenu n’entend pas participer à la dépense, il vous faudra installer votre clôture à la limite de votre propriété et non à la limite séparative des deux fonds.
En conclusion, la Cour de Cassation semble réellement avoir assoupli sa position et elle parait vouloir mettre en avant des droits concurrents à ceux qui consacraient, depuis 1804, la toute puissance du droit à la propriété. Cette nouvelle orientation se dessine à partir d’un arrêt du 19 décembre 2019 où l’empiètement avait réduit de moitié une servitude de passage. La Cour de Cassation sanctionne une Cour d’Appel qui a ordonné la démolition des constructions, haies et plantations aux motifs pris de ne pas avoir recherché « si la mesure de démolition n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile. ». Sur un plan sociologique, cette prise de position est intéressante même s’il faut la replacer dans le contexte de l’affaire qui est relatif à un empiètement sur une servitude car il y a fort à parier que la démolition aurait été ordonnée s’il s’agissait d’un empiètement sur le terrain d’autrui. La Cour de Cassation vient tempérer la toute puissance du droit de propriété à la lisière de droits concurrents, attachés à la liberté fondamentale du domicile dont découle plusieurs droits distincts, le droit d’élire son domicile, le droit d’en jouir librement et de manière licite, le droit d’être protégé contre les violations éventuelles. La sortie de l’affirmation d’un droit absolu aux conséquences absolues sera-t-elle de nature à faire grandir la sociabilité de l’Homme ? C’est l’équilibre entre les droits et les devoirs qui construit une société et c’est dans le respect et le partage que se construit une civilisation. Nous sommes peut-être un peu loin du compte !
(A suivre : Mon voisin aime la forêt vierge : ses arbres et ses plantes envahissent ma propriété.)
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