Reporters Sans Frontières a publié, le 20 avril dernier, son classement mondial de la liberté de la presse. La France arrive au 45e rang, une place médiocre, reflet de la dégradation générale de la liberté de la presse dans le monde.… Réactions.
Tristan Cuche, directeur de publication de l’Agglorieuse à Montpellier
« La liberté de la presse a en effet reculé de façon significative. À l’Agglorieuse, nous sommes, je dirais, au cœur de cela, victimes d’un procès qui montre un réel recul dans la façon dont la justice sanctionne la presse. Relaxés en première instance contre un escroc dans l’immobilier, relaxés en appel à Montpellier, puis condamnés à Nimes à 92 000 euros d’amende, c’est finalement relaxés par la Cour de cassation que nous sortons d’une situation d’un an à risquer de mettre la clé sous la porte. Je doute aujourd’hui de l’engagement de la justice française à faire respecter la liberté de la presse.
Il y a bien d’autres exemples d’atteintes à la liberté de la presse. Le procès de ce français lanceur d’alerte jugé, à l’étranger certes, mais qui montre bien que l’État français ne fait rien pour le soutenir. Lorsqu’Élise Lucet enquête et que personne n’ose lui répondre, on assiste clairement à un recul des libertés journalistiques. Lorsque des collègues demandent l’accès à des informations, mais que les institutionnels ne leur délivrent pas les documents nécessaires, c’est encore une reculade. Lorsqu’on essaie de museler les journalistes de Canal + afin de ne pas égratigner les grands groupes, il est clair que je suis inquiet. Lorsque l’on fait du journalisme d’investigation, on se rend compte qu’on est sur une pente glissante.
On a l’impression que les lois viennent renforcer les groupes de pression. La loi Tafta, qui va être votée, interdira les attaques contre les multinationales. Par contre, les petits journaux qui montent au créneau ne seront toujours pas protégés, tout comme les sources journalistiques. On essaie de nous déglinguer. Vu la situation, si j’étais Reporters sans Frontières, ce serait bien plus bas qu’à la 45e position que je placerais la France. Les atteintes aux libertés de la presse sont bien présentes et ces reculades sont au profit des puissants. »
Franck Demay, ancien directeur des études à l’EJT et ex-directeur général de TLT aujourd’hui président et fondateur de l’ESSentiel.
« Effectivement, la France est actuellement à la 45e place dans le classement mondial de la liberté de la presse par Reporters Sans Frontières, ce qui veut dire que nous avons reculé de 7 rangs. Ce n’est pas brillant.
Il me semble que cette situation est essentiellement la conséquence de la vague récente d’attentats terroristes. Depuis, la presse est de plus en plus encadrée pour des raisons évidentes de sécurité. Nous ne sommes cependant pas encore dans un État où l’on assassine ou emprisonne les journalistes. Certaines limites à ce recul des libertés journalistiques persistent heureusement, mais la mauvaise nouvelle est indéniable. La presse reste néanmoins encadrée par des intérêts financiers, de nombreuses affaires récentes le démontrent. Le rapprochement de ces grands groupes d’avec les médias est une limite certaine à leur liberté, plaçant les intérêts financiers au cœur des enjeux. Cela devient de plus en plus compliqué. Il est vraiment dommage, pour un pays qui se targue de valeurs démocratiques qui sont les fondements des droits humains, pour un pays considéré comme une des plus grandes puissances économiques, de ne pas s’améliorer en termes de libertés de la presse et des médias indépendants. Cela pose question.
Au vu de l’actualité récente et de l’ampleur que peuvent prendre des mouvements tels que Nuit Debout, les médias vont peut-être réussir à se ressaisir, et surtout laisser plus de place à la parole, l’investissement et l’engagement citoyens. Dans une période clairement instable sur le plan politique, lorsque l’on regarde les analyses, l’ascension de mouvements extrêmes est certaine. Il ne faut pas oublier que cela réduirait encore plus les libertés journalistiques. »
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