Suite aux récents attentats, Manuel Valls réaffirme son projet d’ouverture d’un centre de « déradicalisation » pour les jeunes qui reviennent de zones de conflit. D’après le rapport du député Sébastien Pietrasanta sur la lutte contre le terrorisme « l’expérience montre que la déradicalisation est un processus complexe et délicat à mettre en œuvre ».
Propos recueillis par Laurie Mecreant
Bruno Domingo
Conseil stratégique sécurité et prévention, Catalyst prévention, Chercheur en Science Politique associé à l‘Université Toulouse 1 Capitole.
Le Premier ministre a annoncé, dans son discours à l’Assemblée nationale, la création d’une « première structure pour jeunes radicalisés » dont le périmètre précis n’a cependant pas été discuté par les députés, alors que cette initiative aurait mérité un débat plus approfondi. D’abord, ce dispositif intégrerait la panoplie des outils mis en place depuis avril 2014 dans le cadre du plan national de lutte contre la radicalisation violente. Il démontre une ferme volonté de compléter nos instruments de prise en charge et cela me paraît utile. Il fait d’ailleurs écho à l’une des propositions du rapport du député Pietrasanta sur la déradicalisation rendu public en juin 2015. Un deuxième point concerne la question des personnes accueillies. Comme l’a souligné le Premier ministre, cette structure aurait vocation à prendre en charge des « repentis mis à l’épreuve pour mesurer leur volonté de réinsertion dans la durée ». Elle ne viserait pas principalement des individus de retour du Djihad et ne se substituerait donc pas à la prison. Elle concernerait cependant des personnes déjà identifiées dans leur parcours de radicalisation et sous-main de justice. On attend néanmoins des précisions sur ces points. En troisième lieu, on ne doit pas occulter que ce projet demeure expérimental, Manuel Valls soulignant que ce type d’outil « ne correspond pas à notre culture jusqu’ici ». En effet, la France a mis du temps pour aborder ces enjeux. Paradoxalement, ce relatif retard lui permet de bénéficier des retours d’expériences réalisés par d’autres États, notamment européens. En dépit de son intérêt, cette initiative ne saurait cependant nous exonérer d’une réflexion plus globale sur la mise en œuvre de réponses préventives au niveau local. C’est aujourd’hui à cette échelle et dans le cadre d’une mobilisation adaptée des institutions et de la société que se trouvent désormais les leviers pour une prévention précoce et efficace des processus de radicalisation.
Dominique Bons
Présidente de l’association toulousaine ‘’Syrien ne bouge agissons’’ de soutien aux personnes dont les proches ont été recrutés par des groupes extrémistes en Syrie.
J’approuve la création d’une structure de réinsertion pour les jeunes qui rentrent de zones de conflit. Je pense que cela aurait dû être fait depuis un longtemps, en milieu carcéral avant tout. Certains jeunes, même « repentis » ou déçus de leur expérience en Syrie, sont parfois incarcérés alors qu’ils ne demandent qu’à s’en sortir. J’imagine que c’est parce que l’on ne sait pas dans quel état d’esprit ils reviennent. Mais en l’absence de prise en charge immédiate au retour sur le sol français, du moins psychologiquement, ces jeunes peuvent, s’ils sont incarcérés, se faire embrigader à nouveau au contact d’autres détenus malsains déjà radicalisés. Je vois beaucoup de mères dont l’enfant est emprisonné, le moral en berne, considéré comme “terroriste” et ne sachant plus à qui faire confiance, alors que réinsérés, ils pourraient eux-mêmes sensibiliser, de par leur vécu, la jeunesse française à ne pas commettre l’irréparable.
Par le biais de mon association créée en janvier 2014 suite aux décès de mon fils et de son demi-frère en Syrie en 2013, bon nombre de familles de toute la France m’ont contactée. La région Midi-Pyrénées est aussi très touchée, c’est pourquoi j’ai demandé à la Préfecture de la Haute-Garonne de donner mes coordonnées aux familles de la région ayant contacté le numéro vert d’assistance et de prévention de la radicalisation, mais sans résultat. J’ai l’impression de ne pas être écoutée alors que je pourrais être d’une aide précieuse. Je souhaite vivement que les choses s’accélèrent pour le bien des familles et surtout pour éviter de futurs départs. Je pense qu’il faut sensibiliser les jeunes et les parents avant qu’ils soient touchés par ce genre de tragédie. Le milieu scolaire me paraît adéquat à la sensibilisation, mais, malgré plusieurs courriers adressés à différents établissements scolaires ainsi qu’à Madame la Rectrice de Toulouse, je n’ai reçu aucune réponse à ce jour.
Commentaires
LAMY le 12/09/2024 à 06:07
Bonjour,
Mme Dominique Bons, je vous ai écoutée lors de votre passage dans l'émission "la voix est libre" et je suis POUR la création d'un centre de réinsertion pour les jeunes radicalisés. Comme l'indiquait l'avocate "présente" en vidéo-conférence, je crois qu'il est important, même si l'urgence est là, de prendre le temps de la concertation avec tous les corps de métiers qui peuvent être impliqués de près ou de loin dans cette démarche : juristes, éducateurs, imams modérés, théologiens, psychologues, pédopsychiatres etc... Structure ouverte ou structure fermée ? Quels résultats évalués pour les expériences faites dans d'autres pays européens? "Qui, Où, Quoi, Comment, Pourquoi ?"... détermineront le "Quand?".