[Points de vue] L’information gratuite peut-elle sauver la presse ?
La presse va mal. Tout le monde le sait. La baisse des ventes et donc des revenus publicitaires n’épargne aucun titre. Les journaux gratuits semblaient avoir trouvé un modèle stable grâce à des revenus publicitaires plus importants que la presse payante. Mais la fin de Metronews Toulouse rouvre le débat : la gratuité peut-elle sauver la presse ?
Propos recueillis par Myriam Balavoine
Baptiste Ostré , directeur de publication du Magazine Clutch, mensuel culturel gratuit à Toulouse, fondé en 2012 et publié par la Société Coopérative Editions 138.
« Depuis le temps que la crise de la presse fait parler d’elle, si un remède miracle existait, j’imagine qu’il aurait déjà été trouvé. Et la fermeture des rédactions locales de certains journaux gratuits (voire leur suppression pure et simple) ne milite pas vraiment en faveur de l’information gratuite. À dire vrai, avant toute chose, je pense que la presse gratuite doit d’abord se sauver elle-même : j’ai souvent eu l’impression qu’elle était regardée avec méfiance, suspectée de connivence avec ses annonceurs.
Pour autant, le modèle payant n’est certainement pas dans une meilleure position. À quelques rares exceptions près, la presse écrite payante repose à l’heure actuelle plus sur la publicité que sur son lectorat. À mon sens, c’est bien là tout le problème. Si la presse doit se sauver, ne serait-ce pas tout d’abord en se préoccupant premièrement de ses lecteurs ? Il serait faux de croire qu’aujourd’hui on rechignerait à débourser quelques euros pour de l’information – des exemples fiables existent. Mais encore faut-il que cela vaille le coup. Tout comme personne ne se dirigera vers la presse gratuite si elle ne présente pas un minimum de sens, autre que celui d’être distraitement feuilletée entre deux rames de métro.
À notre modeste niveau, c’est ce que nous essayons de mener depuis trois ans avec le magazine culturel gratuit Clutch. En essayant de nous rappeler tous les mois qu’information et plaisir de lecture vont de pair : cela passe autant par le contenu rédactionnel que par l’approche graphique et la qualité d’impression. Bien sûr, dit comme ça, cela semble presque simple. Trop simple. Et ça ne l’est évidemment jamais. Bien sûr, je ne parle ici que du support papier, et j’en oublie par là les autres vecteurs d’information. Mais je reste persuadé que, quelque soit le secteur, c’est uniquement en pensant au lecteur qu’une publication sera pertinente. Cela peut paraître naïf ou évident. Et pourtant… »
Martin Venzal, directeur des publications Touléco et Ramdam
« Ce qu’il faut retenir aujourd’hui, c’est qu’on assiste à un changement de paradigme de la presse. Les lecteurs sont submergés par l’information. L’erreur date du début d’internet, où la presse web totalement gratuite est survenue. Tous les médias tentent aujourd’hui de revenir en arrière, avec des médias mixtes.
Si certains titres de presse s’en sortent, évoluant sur des niches auprès d’un lectorat qualifié, il est clair que la presse payante a du plomb dans l’aile. Le vrai problème réside dans le fait que les patrons actuels ne connaissent pas la presse. Les grands titres nationaux, comme la plupart des publications, dépendent de capitaines d’industrie qui ne savent pas ce qu’est le métier de journaliste. C’est comme cela que l’on tend vers des sujets de l’ordre du fantasme. En tant que journalistes, nous devons apprendre nous-mêmes à changer, nous remettre en question. Si l’on ne fait rien, ces modèles de presse vont disparaître. N’avoir pour information que Direct Matin par exemple, serait terrible. La pluralité de la presse est fondamentale.
En ce qui concerne la presse gratuite, elle ne l’est pas en soi. Il faut donc trouver un modèle économique sur lequel se reposer sans faire payer le lecteur. Ainsi, tout se joue sur la publicité. Les publications gratuites ont leurs limites, de nombreux titres sont en déficit. Il n’y a qu’à voir la fermeture récente de Metronews, à laquelle on ne s’attendait pas du tout. Supprimer la gratuité est impossible, il faut donc réussir à l’inclure, en créant de nouveaux modèles. Si les modèles payants sont plus sécurisants, moins fragiles pour la presse, il faut surtout éduquer le lecteur afin qu’il comprenne que l’information a un prix. Ce lectorat choisit-il de prendre le risque que quelqu’un paye à sa place, annonceurs ou autres tiers, et rende l’information moins objective ?
Je ne pense pas que la gratuité puisse sauver la presse, mais c’est pour l’instant la seule solution que l’on a trouvée pour survivre. Elle peut certainement contribuer à ce sauvetage. »