VIRAGE. Chaque semaine, à l’Hôtel Castellane de Toulouse, se déroulent des stages de récupération de points de permis de conduire. Entre psychologie et conseils, les animateurs tentent de remettre les conducteurs sur la bonne route.
// Par Gabriel Haurillon
Kevin FiguierÀ 8h45, les élèves sont déjà installés à leurs places. Les tables alignées parallèlement au mur convergent sur le bureau de deux animatrices. Comme pour la rentrée des classes, chacun a écrit son prénom en majuscule sur un papier replié. Louis, Abdel, Patrick… Une seule femme, Sophie, figure parmi les candidats. Les hommes représentent 91% des permis invalidés après la perte de tous leurs points, en 2015.
Claudie Faget-Dessart, experte en sécurité routière, et Dominique Vasseur, psychologue, rejoignent les participants au sous-sol. Les deux animatrices sont chargées de rappeler les règles en vigueur sur la route. « On est dans un stage dit ‘’produit’’. C’est-à-dire que la majorité des candidats ont commis des infractions liées à l’alcool ou aux stupéfiants. On va donc se focaliser là-dessus, » explique Claudie Faget-Dessart.
Dominique Vasseur réajuste son poncho en laine avant de s’avancer dans l’allée formée par les tables. Son regard balaie la pièce. Elle incline finalement le buste vers Louis : « Qu’est-ce qui t’amène ici ? ». Cet enseignant de 61 ans n’en revient toujours pas : « Dimanche dernier, la police municipale m’arrête vers 1h du matin parce que mes phares antibrouillards sont allumés. Je venais de regarder le Cameroun remporter la coupe d’Afrique des nations. Quand j’ai baissé la fenêtre, ils ont dû sentir que la 3e mi-temps s’était bien passée. » Avec 0,72 mg d’alcool par litre d’air expiré, le permis de Louis a été suspendu et ce stage est devenu une obligation.
Le tour de table s’apparente à une session des alcooliques anonymes. Patiente, mais ferme, Dominique Vasseur use de sa voix rauque pour faire ressortir les maux de chacun : « J’essaie de cerner la personnalité des participants, pour voir ce qui peut les aider à améliorer leur conduite. » La psychologue, volontiers railleuse, cherche à écarter les ‘’bonnes excuses’’ des conducteurs. Pour qu’un stage soit efficace, il faut que les candidats comprennent que le problème vient d’eux, et pas de la loi, ‘’de la faute à pas de chance’’, ou des autres usagers de la route.
Certains candidats n’attendent pas de friser le solde de points nul pour participer au stage. Au premier rang, Sophie, 26 ans, annonce d’une voix timide : « J’ai perdu quatre points pour la première fois. Je veux retrouver l’intégralité de mon capital. » Elle dit conduire 80 000 kilomètres par an. Ce stage volontaire lui permet de récupérer quatre points en deux jours, moyennant 210 euros.
Au retour du repas, Dominique Vasseur tente de maintenir l’attention du public : « Vous me suivez toujours ? Pas de trop près, hein ! », plaisante-t-elle. Les échanges continuent avec les élèves et sont ponctués de rappels des règles élémentaires, inscrites sur un paperboard au fil de la journée. Les exercices de groupe dynamisent la séance.
Clément, 26 ans, a conduit ivre. Dominique Vasseur lui tend un verre à whisky vide : « sers-moi la dose des potes ». Ce dernier remplit le verre à moitié. La psychologue mesure alors la quantité de liquide : « Tu m’as servi cinq verres en un. Après ça, impossible de reprendre la route. » Clément reste incrédule. « J’ai déjà descendu la moitié d’une bouteille de rhum sans être positif à l’alcotest. » La mine de l’animatrice s’assombrit : « ça veut dire que l’appareil n’a pas fonctionné. Ce qu’on vous dit ici sur les doses, c’est la vérité. Après, si vous ne voulez pas nous croire, c’est votre problème. »
Tout au long de ce stage, Dominique Vasseur et Claudie Faget-Dessart voient les conducteurs évoluer. Seulement 6% des candidats reviennent après avoir fait un premier stage. Certains ne seront pas « prêts » après les deux jours. « L’objectif avec les stages produits (NDLR : lorsque la majorité des candidats a commis des infractions liées à l’alcool ou aux stupéfiants), c’est de leur faire comprendre qu’ils ne peuvent pas transiger avec le spiritueux. Il y en a qui renonceront à prendre le volant, d’autres qui reviendront nous voir. »
Après 14 heures de vie commune en deux jours, Claudie Faget-Dessart libère tout le monde. Clément est plutôt satisfait : « Dominique aboie beaucoup, mais on peut quand même discuter. » Louis s’attarde pour saluer les deux animatrices : « Je suis encore sous le choc, pour moi, ça n’arrivait qu’aux autres… Tout ça pour une histoire d’antibrouillards. »
Commentaires