Prévenir. Il y a quatre ans Mohamed Merah assassinait sept personnes, dont trois enfants, et faisait six blessés. L’an passé, d’autres terroristes ont tué 147 personnes et fait plus de 350 blessés, en France, alors que la Belgique vient d’être touchée par des attentats représailles, suite à l’arrestation de Salah Abdeslam.Depuis quatre ans, les services de l’État ont intensifié la lutte antiterroriste tout en cherchant à prévenir la radicalisation de jeunes. Quel Bilan à Toulouse ?
Par Anne Mignard
« Plus jamais ça ». La réflexion revient après chaque attentat, après chaque drame. Comment prévenir les attaques meurtrières sur notre territoire ? À Toulouse, le préfet de région Pascal Mailhos a mis en place une cellule de coordination des acteurs. Une fois par mois, des représentants de la police, la gendarmerie, l’éducation nationale, l’aide à l’enfance et des renseignements généraux se réunissent. « L’idée est de mettre en commun les savoir-faire, les différentes approches et les informations concernant des personnes susceptibles de se radicaliser », explique Fréderic Rose, le directeur de cabinet du préfet. « Actuellement, nous suivons une quarantaine de personnes en Haute-Garonne. Elles nous ont été signalées via les membres de cette cellule, mais surtout par la plateforme téléphonique Stop-Djihadisme*. Nous travaillons sur trois axes : la prévention avec le suivi des personnes, la formation des acteurs sur les thèmes de la laïcité, des religions et la radicalisation puis l’information du public dans des établissements scolaires ou au sein d’associations ».
”Tout cela s’est très joli sur le papier” commente Marie Laffosse, éducatrice et membre du syndicat, SNEPES-PJJ. « Après les attentats de l’an dernier, on a promis des effectifs supplémentaires à la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse). À Toulouse, on a obtenu ces derniers mois, des postes qui se comptent sur les doigts d’une seule main. Nous sommes actuellement quarante éducateurs pour suivre 900 mineurs ». Elle raconte aussi la mise en place d’un référent laïcité et citoyenneté dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre la radicalisation. « Cette personne, malgré toute sa bonne volonté, a du mal à nous aider, nous conseiller. Elle ne connait pas le terrain et s’occupe de l’ensemble du territoire de la région Midi Pyrénées. Par contre, elle veut des rapports régulièrement sur notre travail et la dangerosité des jeunes suivis. On devient des machines à écrire des rapports au lieu d’être avec les jeunes ». La mise en place du numéro vert ? Selon Audrey Lassalle, assistante sociale, des travailleurs sociaux ont contacté ce numéro en espérant trouver un appui. “Mais rien ! Au bout du fil on a pris les noms, les informations et ça s’est arrêté là“. Marie Lafosse doit aujourd’hui suivre les personnes signalées via ce numéro. “Ces gens-là le vivent très mal. Ils ne comprennent pas pourquoi ils ont été dénoncés. La communication est très difficile à établir pour avancer et éviter le pire“.
« On devient des machines à écrire des rapports au lieu d’être avec les jeunes »
À ces difficultés s’ajoute le manque d’effectifs. Selon Audrey Lasalle : “Il y a 25 ans, dans le quartier des Izards, ils étaient 20 à 30 gamins comme Mohammed Merah à être suivis par seulement 3 éducateurs qui rencontraient leur famille, leurs instituteurs, les inscrivaient au club de sport…veillaient sur eux. Aujourd’hui, sur le même secteur, 180 gamins font l’objet du même suivi et seulement 9 éducateurs sont chargés de les suivre alors que la paperasse s’intensifie“. Même discours du côté des juges pour enfants. Odile Barral, Vice-présidente en charge des mineurs au tribunal de grande instance de Toulouse, croule sous les dossiers. “Pour qu’un enfant soit placé, je dois examiner son dossier. Actuellement nous sommes 6 juges pour enfant au tribunal de Toulouse et chacun doit traiter 500 dossiers”. Selon Marie Lafosse, pour qu’un juge décide aujourd’hui à Toulouse qu’un enfant soit placé en foyer ou famille d’accueil, il faut six à neuf mois d’attente. “Pendant ce temps, tout peut arriver et notamment des délits“.
Le parcours de Mohammed Merah illustre ce dérapage rapide. Audrey Lassalle a vu passer dans son bureau le terroriste lorsqu’il était enfant. « C’était un garçon, souriant, soumis, sa mère venait régulièrement nous demander de l’aide pour finir les fins de mois. Il a rapidement été suivi par un éducateur parce qu’il était victime de violence. Mais ça n’a pas suffi ». Un avis que partage Marie Lafosse. Ce sont des personnels de son service qui ont pris en charge l’enfant devenu adolescent. “Malgré ses parcours judiciaires et ses périodes de crise, ce garçon progressait dans la bonne voie. Son maitre de stage lorsqu’il était apprenti en carrosserie, voulait l’embaucher. Le problème c’est qu’à 18 ans, il a payé les conneries qu’il avait faites avant“. Lorsqu’il était mineur, Mohammed Merah a été condamné à quatorze reprises pour diverses affaires de dégradations, de violence et de vols de téléphones portables ou de motos.
* son nom et son prénom ont été volontairement changés
La plate forme téléphonique Stop-Djihadisme
Mise en place en avril 2015, elle permet à quiconque de faire part de ses inquiétudes quant à la radicalisation d’une personne mineure ou majeure. « Toute personne ayant des doutes, doit appeler c’est un acte de citoyenneté », explique Fréderic Rose, le directeur de cabinet du préfet de région, « pas question de se cacher derrière le secret professionnel, c’est contre des terroristes qu’on se bat ». Il précise que « chaque signalement fait l’objet d’une enquête et le résultat est communiqué à la cellule préfectorale. C’est elle qui décide de la nature de l’intervention. Notre objectif n’est pas d’arrêter tout le monde, mais de déjouer des attentats. D’ailleurs, plus de la moitié des signalements qui nous sont transmis sont classés sans suite ». Mais qui sont les personnes qui se cachent derrière le téléphone et transmettent les informations à la cellule préfectorale ? « Je ne suis pas autorisé à le dire » répond-il.
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