Adeptes d’exploration urbaine, certains Toulousains arpentent la nuit les toits de la Ville rose. Entre pratique sportive et promenade contemplative, le Journal Toulousain a suivi l’un d’entre eux le temps d’une escapade sur les cimes du centre-ville.
Par Enri Ramousset
Assis sur la terre cuite des tuiles rouges, Loïc* écoute Toulouse qui bruisse dans la nuit. Plus bas, piétons, cyclistes et automobilistes vaquent à leurs occupations sans se douter du regard posé sur eux depuis les cimes urbaines. Domaines habituellement réservés aux couvreurs et autres antennistes, les toitures toulousaines voient passer de temps à autre des promeneurs d’un autre genre. Venus flâner sur cette face cachée de la ville, il leur suffit d’un échafaudage, d’une porte béante sur l’escalier d’un immeuble ou de la fenêtre consentante d’une connaissance pour que l’aventure commence.
Loïc est stegophile depuis une dizaine d’années. « En grec, cela veut dire qui aime les toits », explique-t-il. « Je l’ai lu dans un livre de Sylvain Tesson qui expliquait comment il escaladait les cathédrales avec des amis. » Frénétique pendant ses années d’université, le trentenaire ne grimpe plus qu’occasionnellement, mais ses motivations n’ont pas changé : « Là-haut, on est d’une certaine manière, au bord de la ville. Ce sont des endroits où peu de gens vont. Il y a aussi le goût du risque et un peu celui de l’interdit ».
Si Loïc préfère ne pas donner son vrai prénom et rester vague sur le lieu exact de sa promenade nocturne, c’est que cette pratique qui oscille à la frontière de la légalité peut se terminer en garde à vue en cas de rencontre avec les forces de l’ordre. Bien que les poursuites soient rares, « il peut y avoir dépôt de plainte s’il y a détérioration, dégradation ou vol de biens sur le toit », annonce-t-on à la direction départementale de la sécurité publique de Haute-Garonne. « Si une patrouille aperçoit quelqu’un sur une façade, dans le doute, elle l’interpellera pour prévenir un cambriolage ou tout simplement une mise en danger de la vie d’autrui. » Pour l’instant, Loïc touche du bois. Mais, il a fait sien un adage souvent partagé sur les forums: « Les seules choses que vous ayez le droit de prendre sur les toits sont des photos. Les seules choses que vous ayez le droit de laisser sont les traces de pas ».
“Le mieux, ce sont les grands immeubles avec des terrasses gravillonnées au sommet. Là, c’est pratiquement sans danger et la vue est imprenable.”
Au-delà de la maréchaussée, l’escalade d’un échafaudage, d’une façade pour les plus aguerris, ou d’un toit présente les mêmes dangers que toutes autres parois. À l’aise sur les tuiles faitières d’un bâtiment haussmannien, Loïc se déplace avec précaution. « Les tuiles et ardoisent peuvent casser si l’on marche dessus sans légèreté », reconnaît-il. « À Toulouse, c’est presque plat, on peut passer d’un toit à un autre assez facilement. Le mieux, ce sont les grands immeubles avec des terrasses gravillonnées au sommet. Là, c’est pratiquement sans danger et la vue est imprenable. »
S’approchant du rebord, Loïc se cale contre un parapet pour observer la rue en dessous. Un pas de plus. Et c’est le vide. « Sous l’effet de l’alcool ou de l’euphorie, certains grimpeurs prennent des risques inconsidérés pour eux et pour ceux qui passent en dessous dans la rue », s’alarme Pierre-Henry Muller, photographe et stegophile parisien. « Je n’essaie surtout pas de dépasser mes limites dans de tels lieux. »
Les accidents, Loïc en a déjà lu dans la presse les conséquences dramatiques, sans en faire lui-même les frais. « Je sais qu’il y a parfois des morts », admet-il. « Un ami a fait une chute de quatre mètres quand le collecteur d’eau auquel il se hissait s’est déboité. Il a eu très peur et a décidé de ne plus grimper. »
Des accidents de ce genre, Olivier Delalande, architecte à Paris, en fait des cauchemars. « Si le toit sur lequel survient l’accident est terminé depuis moins de dix ans, la justice ira chercher celui qui l’a fait ou rénové car il aurait dû prendre des dispositions pour la sécurité », explique-t-il. « C’est pour cela qu’on voit fleurir des garde-corps sur toutes les terrasses. La fameuse scène du film “Une époque formidable”, où Jugnot pisse dans le vide au bord de la terrasse d’un gratte-ciel, ne pourrait plus être tournée de nos jours car il y a un garde-corps. »
Après un dernier regard pour la ligne d’horizon garnie d’antennes, de tours et du clocher illuminé de Saint-Sernin, Loïc entame sa redescente. Une main après l’autre. Un pied toujours en appui. Les barreaux de l’échafaudage défilent un à un. Personne ne semble lui prêter attention, quand il atterrit d’un saut sur la chaussée. Redevenu un piéton comme les autres, peut-être pense-t-il déjà à sa prochaine balade sur les toits.
* Prénom d’emprunt
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