Professionnels et étudiants du CHU de Toulouse peuvent travailler à la gestion des risques en bloc opératoire grâce à un jeu vidéo collaboratif. Destiné à former les personnels hospitaliers, le serious game “Virtual Operating Room” pourrait inspirer de nombreux secteurs d’activité.
© DRInstallé sur son brancard, Olivier Le Bihan pénètre dans la salle d’opération où l’attendent le professeur Alain, chirurgien, M. Dautin, infirmier, et Mme Gendroux, anesthésiste. Il doit être opéré d’une tumeur cérébrale. L’infirmier, en charge de la vérification du site opératoire se présente à ce dernier et lui demande de confirmer la nature de l’intervention à venir, puis transmet l’information au reste de l’équipe. Après avoir consulté sa feuille d’anesthésie, Mme Gendroux annonce que le côté du cerveau dans lequel est placée la tumeur n’est pas précisé sur son document. Le chirurgien se réfère alors à l’IRM pour affirmer que celle-ci se trouve bien dans la partie gauche. Toute l’équipe valide la check-list, clôturant l’ensemble des mesures de précaution préalables à une intervention, et se met au travail. Problème, l’IRM en question n’était pas celle du patient. Game Over !
Heureusement, Olivier Le Bihan va bien car il n’existe tout simplement pas. Nous ne sommes pas dans la vraie vie ni dans un épisode d’ “Urgences”. Les décors sont en 3D, les voix synthétiques et les protagonistes de l’action, derrière un écran sur lequel ils indiquent la marche à suivre à leurs incarnations numériques. Bienvenue dans l’univers de “Virtual Operating Room”, un serious game, un “jeu vidéo sérieux” à but professionnel. Cet outil a été initié en 2013 par le Serious Game Research Network de l’université Champollion d’Albi et des médecins du CHU de Toulouse pour former et entraîner professionnels et étudiants à la gestion des risques en bloc opératoire. « Depuis 2010, la réalisation d’une check-list au bloc est obligatoire dans les établissements de santé. Or, nous avons rencontré des difficultés organisationnelles pour former l’ensemble des personnels concernés à ces nouvelles procédures et c’est pour y pallier que nous avons sollicité des experts dans le domaine des serious games », raconte Vincent Lubrano, neurochirurgien à l’hôpital Rangueil, à l’origine du projet.
Si la forme ludique a été choisie, l’enjeu n’en est pas moins de taille : en salle d’opération, un quart des événements indésirables sont causés par une communication insuffisante entre professionnels et la moitié seraient dès lors évitables. Pour restituer toute l’importance de ce moment d’échange, où chaque décision a un impact sur le déroulé de l’intervention, le défi a été de concevoir un outil multijoueur et collaboratif. Ainsi, chirurgiens, infirmiers, anesthésistes, cadres de santé et manipulateurs radio peuvent chacun incarner leur propre rôle et, en cas d’absences de l’un ou de l’autre, une intelligence artificielle prend le relais. « Il était essentiel de pouvoir réunir les différents métiers autour d’un même jeu. J’ai assisté à une séance d’entraînement durant laquelle les joueurs ont choisi de ne pas faire entrer le patient dans le bloc par manque d’informations alors que ces dernières étaient disponibles. Les échanges étaient vifs, cela prouve le réalisme de l’immersion », témoigne Valérie Boudier, directrice pédagogique de la société KTM Advance, qui a réalisé le design graphique et l’ergonomie de l’interface du jeu.
“Virtual Operating Room” offre ainsi aux membres d’une équipe la possibilité de prendre conscience de l’importance des procédures et de gagner ou d’échouer ensemble. « Il arrive que les décisions ne soient pas pertinentes mais on ne peut pas parler d’échec. C’est tout l’intérêt d’un tel outil, on apprend sans prendre de risques », lance le professeur Lubrano. De plus, le jeu comporte des modules de débriefing qui permettent d’analyser de manière très détaillée les performances, de l’accueil du patient jusqu’à la salle de réveil. Encore à l’état de prototype, l’outil continue lui aussi de s’améliorer, avant une future commercialisation. Et s’il est trop tôt pour dresser le bilan des bénéfices récoltés par les personnels hospitaliers, Vincent Lubrano estime l’initiative plus qu’encourageante : « Il est impossible de ressentir exactement les mêmes sensations qu’en condition réelle mais en termes de rythme, les similitudes sont très poussées et l’on peut envisager d’aller plus loin grâce à la réalité virtuelle. Cela ne remplacera jamais l’apprentissage classique, mais c’est un outil précieux qui vient en complément », affirme-t’il. Le jeu, qui comporte déjà plusieurs scenarii inspirés de cas avérés, pourrait donc encore se développer et même se dupliquer à d’autres domaines, selon Valérie Boudier : « Les déclinaisons peuvent être multiples, pour des cellules de crise ou de gestion des risques. Toutes les situations où les prises de décision nécessitent une communication sans failles. »
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