Bavardages. Le rendez-vous du Belvédère avait été noté d’une croix dans leur agenda. À midi pétante, nos trois invités étaient fin prêts à débattre de l’actualité. Une rencontre, loin des clichés, qui aura eu l’honneur de casser les clivages politiques. Au menu : la grogne des taxis, la valse des secrétaires nationaux à l’UMP et le traitement médiatique de la vie privée des personnalités publiques.
Par Aurélie Renne et Séverine Sarrat
Les présentations faites, nos trois convives étaient dans les starting-blocks. Lorsque le premier sujet fut lancé en pâture, ils s’en sont littéralement délectés. C’est Emmanuel qui a ouvert la danse quant à la colère des chauffeurs de taxi face à la société américaine Uberpop qui propose un service de transports entre particuliers : «Le problème des taxis doit être géré dans sa globalité : on vend des licences aux chauffeurs, c’est un investissement. On peut donc comprendre leur colère face à un système sans licence ! » Pascal ne mâche pas ses mots et lance un joli « ça m’énerve ! ». Fatigué de « courir après le temps alors que certains s’acharnent à bloquer le pays pour embêter ceux qui travaillent », il est formel, pour lui « la société évolue, les modes de consommation aussi ». Un parallèle est d’ailleurs évoqué entre les taxis et les opérateurs de téléphonie : « Free a donné un bon coup de pied dans la fourmilière qui a fait s’adapter les autres, il faut tendre vers autre chose ». Guy était resté silencieux jusqu’alors, pourtant il dit bien être « opposé à ce genre de prise d’otages ». Pour lui, le problème majeur de notre société est qu’elle a tendance à tout règlementer…
Pascal : Malheureusement !
Guy : Il est temps de foutre un grand coup de pied dans le monde du travail !
Pascal : C’est comme si la SNCF avait bloqué Blablacar !
Pourtant cette ode à la libéralisation recèle des risques, ils en conviennent : la transition doit évidemment être accompagnée. Et tout doucement, à mesure que le carpaccio de veau était dégusté, la politique s’est invitée à notre table… « Le problème français c’est que l’on veut réformer sans réformer, nous avons une résistance au changement qui est très forte ! » lance Emmanuel. Il n’en fallait pas plus à Guy pour dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas : « En tant qu’ancien éducateur je sais qu’un enfant a besoin d’un cadre, pour les adultes, c’est pareil et les hommes politiques ce sont comme des petits enfants, tout le monde fait joujou… » Pascal de rétorquer qu’ils sont « bouffés par leur ego ». Emmanuel, le seul invité officiellement engagé en politique, en convient à son tour « au niveau national c’est de la politique politicienne avant même de penser à l’intérêt général, pourtant au niveau local on n’est pas tant déconnecté du terrain… » À sa droite, le chef d’entreprise se dit désabusé, indiquant qu’un engagement en politique serait pour lui « une perte de temps absolue, faire bouger mon entreprise aura plus d’effet économique, social etc. ça vaut tout l’or du monde ! »
Emmanuel : Donner du sens à l’économie et l’associatif ok, mais notre rôle est d’en redonner à la politique, car ce n’est pas un gros mot !
Pascal : Hé bien vous avez du boulot !
Interrompus par l’arrivée du Saint-Pierre à notre table, nous lançons le sujet suivant : Sarkozy nomme une ancienne frontiste comme secrétaire nationale de l’UMP, et accorde une place de choix à une ancienne responsable du mouvement anti-mariage gay. Quant à Sébastien Chanu (ancien secrétaire national), il vient d’intégrer le FN. Quid de l’UMP ? Faut-il pressentir un flirt aggravé avec l’extrême droite ? Emmanuel est sans concession : « ce qui disqualifie un discours politique c’est exactement ça : ils vont chercher le vent et les postes avant le reste ! » Pascal insiste : « on se croit dans une cour de récréation, c’est un triste théâtre ». Pour autant personne n’est vraiment inquiet. « Si c’était massif, ok, là c’est encore prématuré de dire qu’il y a une perméabilité des choses ». Guy se dit homme de droite mais préfère en rester à l’humain : « ce qui m’importe, c’est la sortie des gens de la souffrance ». Oubliant presque la belle assiette refroidissant sous leur nez, ils ont alors carrément refait le monde. Chacun y allant de sa proposition : « mélanger artistes, économistes, jeunes, vieux, asso et entreprises… », « S’inspirer du monde économique qui sait aller vers l’extérieur… », « Changer le système par le système… » Là, la crainte partagée du FN aux prochaines élections refait surface : « le FN pourrait être le Uber du pouvoir, plaisante Pascal en référence aux malheureux taximen, mais ce serait la cata ! » Alors qu’ils nous annoncent tous trois la révolution qui pointe le bout de son nez, nous estimons qu’il est temps de passer au dernier sujet du jour : suite à l’affaire Philippot, dont l’homosexualité a été révélée publiquement par un magazine people, nous souhaitons recueillir l’avis de nos invités sur le traitement par les médias de la vie privée des personnes publiques.
Pascal : C’est ignoble d’aller se cacher derrière un laurier pour surprendre la sexualité de quelqu’un.
Emmanuel : Ce genre de presse ce n’est pas normal, mais les politiques ont aussi leur part de responsabilités, ils en jouent et parfois se brûlent les ailes.
Pascal : On a tous en nous ce côté voyeuriste, plus c’est cradasse plus ça marche !
Tous s’entendent sur le fait que parler même du sujet fait le beurre des magazines people incriminés dans l’affaire. Guy propose alors de parler du « vivre ensemble »… Emmanuel fait son propre constat quant au débat en cours : « ce qui est bien c’est que nous sommes d’horizons et de convictions différents mais nous partageons les mêmes valeurs… » Guy se plaît alors à vanter sa carrière dans le social alors que ses valeurs sont à droite… Laïcité, religions, tolérance et valeurs partagées, on ne les arrête plus. Une nouvelle fois, le débat du Journal Toulousain aura créé la rencontre entre les mondes. Ils en repartent ravis.
Mini-bios :
Guy Tramier : Enseignant puis éducateur et directeur d’un centre médico-social, il est aujourd’hui à la retraite. Engagé dans la vie associative, il dirige Cofremi, organisation qui lutte contre les discriminations mais travaille aussi au Service international d’appui au développement (Siad) en accompagnant des projets d’insertion par l’économie, essentiellement au Maghreb.
Pascal Grémiaux : Après avoir séjourné deux ans au Québec, cet ingénieur de formation, créé en 2006 la société Eurecia, éditrice de logiciels de gestion administrative au travers d’une solution web. Aujourd’hui, il diffuse son produit dans plus de 40 pays, compte 500 clients et emploie 25 salariés sur Castanet.
Emmanuel Auger : Directeur général des services à Escalquens, il a d’abord évolué dans le milieu culturel et socio-culturel avant d’intégrer la collectivité territoriale. Il est également reconnu sur la scène politique locale pour avoir participé à la création du Parti socialiste toulousain « qui n’existait pas il y a encore quatre mois. Notre mot d’ordre est l’ouverture car beaucoup de partis se renferment sur eux-mêmes. »
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