JOINT. Le gouvernement a tranché. Pas de dépénalisation de la consommation de cannabis mais la mise en place d’une amende forfaitaire systématique pour toute personne prise en flagrant délit, avec possibilité de poursuites pénales par la suite. Didier Martinez, secrétaire régional du syndicat Unité SGP Police, et Martine Lacoste, directrice de l’association Clémence Isaure, réagissent à cette mesure et débattent de la complexe question de la lutte contre l’usage de stupéfiants.
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Martine Lacoste : Au regard du manque d’efficacité de la pénalisation, il aurait été préférable de changer radicalement de point de vue. Les questions de santé et de prévention sont totalement évacuées. Et alors que toutes les études montrent que la consommation régulière de stupéfiants concerne fortement les plus précaires, le risque de ces amendes est de placer ces populations dans des situations financières encore plus difficiles. La lourdeur administrative que l’on veut éviter va être transférée vers le suivi des personnes endettées.
Didier Martinez : Dès lors que cela reste un délit, l’idée est bonne. Cette mesure va permettre d’alléger considérablement la procédure – contraignante avec le procès-verbal, l’interpellation, l’audition, etc. – tout en maintenant la possibilité de placer la personne en garde à vue ou d’ouvrir des poursuites ultérieures. Ce qui n’aurait pas été le cas avec une simple contravention. S’attaquer au problème des stupéfiants en commençant par le consommateur peut être mal perçu, mais cela contribuera à tarir la source de l’économie souterraine. Si la demande est en recul, l’offre devrait l’être mécaniquement.
Martine Lacoste: Plus de 4,6 millions de personnes ont expérimenté le cannabis en 2014 et l’on recense 170 000 interpellations chaque année. Il ne faut pas s’abriter derrière cet arbre des sanctions pour masquer la forêt de problèmes. La consommation de stupéfiants relève souvent de situations complexes et uniques et il existe une réelle nécessité de réaffirmer les dangers des drogues. Cette mesure risque simplement de déplacer le problème. Seule la consommation repérée en extérieur sera sanctionnée. Les personnes fumeront chez elles, ce qui rendra plus difficile l’identification de celles ayant besoin d’un accompagnement.
Didier Martinez : La mise en place de ces amendes systématiques devrait créer un effet dissuasif, réaffirmer l’aspect délictuel de la chose et uniformiser les sanctions. Aujourd’hui, le cannabis est banalisé. Avec ce nouveau texte, on va remettre des barrières. D’autant que les consommateurs savent qu’ils ne risquent pas grand-chose. Les contrôles sont nombreux et les textes actuels prévoient une peine pouvant atteindre un an de prison et 3750 € d’amende, mais les juges optent souvent pour un simple rappel à la loi.
Martine Lacoste : Il est temps d’ouvrir un débat avec pour cœur la santé publique, afin de penser à de nouvelles formes de régulation. Certains pays comme le Portugal ou l’Uruguay ont choisi de tenter la légalisation contrôlée. Les lieux où l’on se procure le cannabis sont aussi des espaces de parole autour de la consommation, qui permettent de repérer précocement les usages problématiques et les situations personnelles difficiles.
Didier Martinez : Évidemment, il s’agirait d’affecter davantage de moyens au démantèlement des réseaux, même si leur organisation rend les interventions de la police complexes. Dans certains quartiers, l’impunité ambiante permet même aux revendeurs d’afficher des opérations de promotion dans les halls d’immeuble. Il appartient ensuite au législateur d’ouvrir d’autres perspectives autour de la prévention, de l’éducation, et de la sensibilisation aux effets et aux dangers des stupéfiants.
Martine Lacoste
Déléguée régionale de la Fédération Addiction, fondatrice et directrice de l’association Clémence Isaure, l’un des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de Toulouse.Didier Martinez
Secrétaire régional d’Unité SGP Police, organisation rattachée à Force ouvrière et deuxième syndicat de la police nationale.
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