Pourquoi avoir choisi de parler d’Alphonse Boudard ? Certes, il s’est permis de passer du Tribunal correctionnel à l’Académie française, mais de là à en faire une rubrique. Quel manque d’originalité !
De nombreux écrivains sont des repris de justice, mais l’œuvre de Boudard traite de notre univers, on lit, on rit et puis soudain on a des doutes, on se dit : « mais je les connais tous ! Je les pratique ! Je leur parle !… » C’est moi, c’est nous vu par lui. C’est lui, vu par moi, par nous. Seule circonstance atténuante, il n’exerce pas son ironie sur les blessures profondes des gens. Il préfère toujours les forts et les suffisants pour s’aiguiser les canines.
Alphonse Boudard ne juge pas, il montre. Selon lui, le monde est assez simple. Il suffit de se donner la peine d’ouvrir les yeux pour comprendre. Mais qui est Alphonse Boudard ? Il est né le 17 décembre 1925 dans le Loiret et obtient son Certificat d’études en 1938 qui lui ouvre les portes du prolétariat. Démobilisé en 1946, il s’exerce à divers petits métiers, dont celui d’ouvrir quelques coffres, ce qui bien évidemment le conduit en prison. Il va toucher le fond au mitard, et décide d’écrire. Après sa sortie de prison en 1962, il publie “La métamorphose des cloportes”. Au gré d’une vingtaine de livres, il s’est servi de son passé pour nous séduire. Séduire les académiciens français qui l’ont couronné le 26 octobre 1995 pour… “Mourir d’enfance”. Mais avant d’écrire, il a fallu commercer par lire.
Alphonse Boudard ne sort pas de Polytechnique, plutôt de Centrale. Il met à profit ses longues journées d’immobilité pour lire : Céline, Stendhal, Julien Blanc, Giono, Balzac… et se dit « pourquoi pas moi ? » Le sauvetage a eu lieu, Boudard s’était reconverti dans l’écriture. Il raconte, mais n’allez pas croire qu’il révèle son “moi” profond. Les sujets traités sont toujours des scènes de la vie quotidienne dans une société populaire. Le proxénète, la putain, le soldat, les concierges, les malades et les prisonniers font partie de sa cour des miracles. Le sexe, le vice, la violence sont le lot des histoires de Boudard. Cette réalité marquante, horrible est le reflet de l’homme, de son comportement…
C’est aussi une manière de dire : « Regardez comme nous sommes ».
L’œuvre de Boudard, sa vie…Nous fait prendre conscience qu’il n’existe pas de ligne rassurante et confortable qui séparerait, de manière étanche, le bien du mal ; qui instaurerait entre les bons et les mauvais, une cloison naturelle. L’homme est ambivalent, la vie n’est qu’ambivalence. Selon lui, le mauvais n’est pas celui qui fait le mal pour le mal, mais celui qui fait du mal à autrui pour son bien à lui.
La collectivité peut-elle se déclarer innocente de l’ablation qui l’a rendue moralement hémiplégique ?
Le Tribunal de l’opinion qui en juge ne projette-t-il pas ses propres tares en même temps que ses décrets ? Le mauvais d’en face est toujours un peu le miroir de nos fantasmes. Défendre le criminel est peut-être une des seules manières de se défendre du crime. Je reste persuadé que ni la surdité ni les tabous ne sont des solutions d’avenir. Je dis que les criminels sont les boucs émissaires de nos peurs. On peut tous être criminels, ou plus simplement délinquants demain. Mais soyez sans crainte, nous avons des “freins” !
Pour tenir en respect ou en liberté surveillée leur folie toujours prête à jaillir, les hommes ont inventé, plusieurs méthodes plus ou moins efficaces : la civilisation, l’éducation, les sciences exactes, les religions qui le sont moins, la psychanalyse, les rituels, les jeux de société, les systèmes métaphysiques, la belote, la famille… Soyez sans crainte, mais restez méfiant ! Il arrive que les “freins” lâchent ou que la machine judiciaire s’emballe.
Et comme le dit si bien Alphonse Boudard : « Le bon chemin pour tout un chacun, c’est presque toujours celui qu’on s’est choisi ». Du bien au mal, du mal au bien, «de la rubrique des faits divers aux pages des belles lettres».
Avocat pénaliste au barreau de Toulouse depuis 1993, Pierre Alfort s’est illustré notamment dans l’affaire Alègre.
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