Mainmise. Dans la ville rose les réseaux gravitent allègrement autour du ballon ovale, de l’aéronautique et de la cause occitane. Des piliers de la culture toulousaine qui ont assurément leur mot à dire sur la scène politique locale et qui s’expriment à travers réseaux et clubs, comme autant d’outils d’influence.
Toulouse a en tout cas bien compris une chose : à fédérer ses domaines de compétences, elle se fait une place de choix. D’où la multiplication des passerelles entre toutes les sphères qui forment le socle de son identité. Le Cercle d’oc, les compagnons de la Table ovale et encore le club des partenaires du Stade Toulousain en sont bien la preuve. On y croise souvent les mêmes têtes… Bernard Keller en est un exemple typique. Cet ancien directeur de la communication d’Airbus (à l’époque Aérospatiale Toulouse) est élu maire de Blagnac en 1996 (réélu en 2001 et 2008) il devient aussi vice-président du Grand Toulouse en charge du développement aéronautique et spatial. Récemment et après des années de bataille il inaugure enfin le clou de sa carrière politico-industrielle : Aéroscopia qui marie définitivement l’aéronautique à Blagnac. Par ailleurs, il y a douze ans, il fonde le Cercle d’oc avec une poignée de têtes toulousaines connues, dont Claude Terrazzoni, ancien directeur général d’EADS, président de l’association Terre d’envol et ancien président de la chambre de commerce et d’industrie. Ce club d’affaires peu connu du grand public est certainement l’un des plus influents au regard des membres qui le composent, soit les grands pontes de l’économie locale, des maires de l’agglomération entre autres élus. Les liens entre l’aéronautique et le milieu politique se révèlent souvent en période électorale. Sur la liste de Jean-Luc Moudenc aux dernières élections municipales, on retrouve Jean-Claude Dardelet, vice-président de Thales Alenia Space, Jean-Paul Miquel, responsable de la chaîne finale d’assemblage de l’A380, et Emilion Esnault, ingénieur chez Airbus.
Un cassoulet politique, rugby et plus si affinités
Côté stade, le milieu est tout aussi poreux. La Table ovale réunit ses ouailles mensuellement pour un dîner, excellente occasion de tisser son réseau, autour de Carlos Zalduendo, président fondateur. L’association, réservée aux hommes, compte 500 membres avec pour objectif principal de soutenir financièrement l’équipe de Rugby à XIII. Émanation directe de cette organisation, le club d’entreprise de la Table ovale, ouvert aux femmes, réunit des entreprises partenaires du club, mais aussi la plupart des responsables politiques locaux… Un réseau d’influences et d’affaires de premier plan. Pour y rentrer, « il faut avoir le sourire et être partenaire du TO XIII… Et pour être partenaire, il faut être intronisé par un membre », explique Christophe de Just, président du club, qui se défend de tout intérêt politique : « notre objectif n’est pas de faire de la politique, nos déjeuners ou dîners, se déroulent sur des thèmes économiques ou décalés, type le robot curiosity… » Pourtant, ce réseau a tout de même obtenu un nouveau stade de 10 000 places à Toulouse pour le TO XIII, « grâce à la force de la Table Ovale et de nos partenaires », reconnaît Christophe de Just.
Les exemples d’allers-retours entre politique et rugby sont multiples : la famille Arif, avec Kader Arif en premier plan, ancien talonneur du Castres Olympique qui devient en 1999 premier secrétaire de la fédération du PS de la Haute-Garonne et est parachuté – jusqu’à sa récente démission – ministre délégué puis secrétaire d’État aux anciens combattants dans les gouvernements Jean-Marc Ayrault et Valls. Autre cas parlant, l’implication de René Bouscatel en politique qui a été adjoint à l’urbanisme de Philippe Douste-Blazy, puis élu d’opposition sous le mandat Cohen (sans étiquette mais tendance divers droite). Plus loin dans l’histoire toulousaine, on se souvient également de la présence de Fabien Pelous sur la liste de Jean-Luc Moudenc en 2008, mais aussi de celle de Walter Spanghero (troisième ligne de Narbonne puis du Stade toulousain et ancien capitaine de l’équipe de France de rugby) sur celle de Philippe Douste-Blazy. Il a été adjoint au maire entre 2001 et 2004 en charge de la sécurité.
« Un tremplin pour le business »
Mais d’autres lobbies fondent leur influence dans la confidentialité… Le Lion’s Club par exemple qui peut se targuer d’un certain poids sur la métropole. Fort de 38 clubs et 609 membres, il est en lien étroit avec la mairie pour quelques échanges de bons procédés, comme nous l’explique Christophe Sarre, past-président du Lion’s Club … : « on essaye plutôt d’être dans de bonnes relations avec les élus car on a besoin d’avoir des salles mises à disposition gratuitement pour nos événements. Par ailleurs les élus sont régulièrement et spontanément présents, on leur offre une vitrine sur des événements de santé publique… » Si l’intérêt affiché des clubs est de « s’impliquer pour permettre à des populations fragilisées de récolter des fonds », il est clair que ces rencontres mensuelles permettent à un cercle très privilégié de Toulousains de se constituer un réseau efficace : « nos adhérents sont bien positionnés dans la société, il y a quelques élus voire anciens élus mais surtout des chefs d’entreprises, souvent dans l’aéronautique, à l’image de la population locale…. » Il faut dire que les différentes cotisations (environ 85 euros) ne sont que la partie immergée de l’iceberg, car « il faut être prêt à débourser a minima 1000 euros à l’année, lors d’événements et via des dons divers. » Son homologue, le Rotary club n’est pas en reste, avec 25 clubs et 900 adhérents, il recrute – via cooptation – officiellement autour de « l’amitié et du caritatif », comme le présente Jean-Claude Brocart, fondateur du Rotary club Toulouse ovalie. Pourtant c’est un tout autre portrait que dresse Christian Saint-Blancat de ces réunions hebdomadaires : « il faut être PDG et laisser travailler les autres pour se rendre disponible tous les vendredis midi… le Rotary c’est avant tout un tremplin pour le business, on se fait travailler entre rotariens et pour beaucoup c’est un outil de promotion sociale ». Quant à l’influence que peuvent avoir de tels clubs, elle lui semble évidente : « ce sont des notables, élus, chefs d’entreprises, pour beaucoup du monde l’aéronautique ou du rugby, avec ce que cela peut supposer de relationnel : on se doute que ça pèse dans la sphère locale… » Il cite plusieurs stadistes et l’ancien directeur de l’aéroport Toulouse-Blagnac. Dans cette sphère très confidentielle des réseaux toulousains dont il ne faut pas parler, la franc maçonnerie a bien évidemment sa place, avec la fraternelle de l’aéronautique, qui regroupe la crème de la crème. Une « “sous-sphère maçonnique’” qui peut tout à fait devenir un groupe de pression dans le secteur car entre aider un frère et nuire à d’autres il n’y a qu’un pas», déplore un membre de la Grande loge de France.
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