Les élections départementales sont l’occasion pour le Front national de s’implanter véritablement sur territoire haut-garonnais. Le parti présente d’ailleurs pour la première fois des candidats sur tous les cantons et pourrait être au second tour sur plusieurs d’entre eux. Si jusqu’à présent ce département avait été plus ou moins préservé de la montée frontiste, les derniers résultats des élections européennes n’augurent rien de bon pour les départementales à venir … Le JT met en garde. Le danger est là, inutile de le cacher ! Il n’est pas question de se faire peur, mais d’agir.
Par Coralie Bombail et Thomas Simonian
Historiquement, la Haute-Garonne n’est pas une terre favorable au Front national. Aux dernières européennes, le parti a réalisé 21% des voix sur le département, un score plus bas que la moyenne nationale, mais qui amorce tout de même une évolution notable. Le FN 31, incarné par le jeune Julien Léonardelli (secrétaire départemental) qui s’inscrit dans la droite ligne du nouveau Front national dédiabolisé, va confirmer son nouvel ancrage lors des prochaines élections départementales. Un scrutin idéal pour cela… Tout comme les européennes, l’abstention y est traditionnellement forte. Si on ajoute la confusion ambiante autour de la réforme territoriale (on ne connaît pas encore toutes les compétences du futur Conseil départemental, ndlr), la route est toute tracée : « Sur le terrain, les gens ne se cachent plus comme avant. Ils revendiquent le vote FN », remarque René Gies, référent départemental de « La Droite forte », le courant majoritaire de l’UMP. Dans ce contexte, « ils ont juste à attendre pour cueillir les fruits », remarque Marc Fischer, secrétaire fédéral du PS en charge de la lutte contre l’abstention et la montée du FN. « Les gens ne sont plus du tout gênés pour parler du FN. Ils sont en colère … », confie Elsa Galataud, membre du PCF et candidate sur le canton Toulouse 7 (qui inclut Colomiers.) Au PS, comme à l’UMP, tout le monde s’accorde à dire qu’on « ne voit pas les candidats frontistes sur le terrain », qu’ils utilisent comme à leur habitude « des affiches de campagne à l’effigie de Marine le Pen et non des candidats locaux »… Mais est-ce la réalité ? Certes, les tracts sont (presque tous) nationaux mais les candidats FN sont bel et bien sur le terrain. Le changement est même notable sur beaucoup de cantons. Les candidats s’assument et désormais toutes les professions sont représentées. Des médecins, des dirigeants d’entreprises, des commerçants … Le FN vit clairement une vraie mutation, même si certains responsables politiques locaux préfèrent être dans le déni. Reste à savoir quels sont leurs arguments… Au niveau national, le comité de vigilance contre l’extrême droite (qui regroupe la Ligue des droits de l’homme, FSU, le Parti de gauche, RESF notamment) a repéré une stratégie variant selon les territoires : « Dans le nord, le FN met l’accent sur les problèmes économiques et sociaux, dans le Sud-Est, c’est plutôt l’immigration, mais dans le Sud-Ouest, on ne sait pas encore, il n’y a pas vraiment de stratégie établie », remarque Thierry Ramond, responsable du comité de vigilance Midi-Pyrénées et président de la section Toulouse de la Ligue des droits de l’Homme.
“Ce parti progresse car les gens ressentent un véritable isolement”
Le FN 31 tâtonne-t-il ? « La Haute-Garonne n’est pas un département en difficulté économique, mais nous avons un pôle fort qui est Toulouse, et le FN risque de scorer sur le périurbain en jouant sur le sentiment d’abandon du territoire rural, et sur le manque de services publics », signale Marc Fischer avant d’ajouter : « à nous d’expliquer le bilan du Conseil général en matière de politique sociale et rappeler que l’aide versée aux petites communes est exemplaire ! » René Gies, qui est également le délégué UMP de la 7ème circonscription confirme cette analyse : « Il est incroyable de penser que les plus gros scores du FN sont dans le rural alors que c’est là que les problèmes de sécurité et d’immigration sont le moins présents. En fait, ce parti y progresse car les gens ressentent un véritable isolement. Vous savez en campagne nous n’avons pas toutes les informations qui circulent en ville … Les journalistes ne s’intéressent pas à nous. Nous avons très peu de presse, et c’est donc difficile de faire passer ses idées. Cela favorise clairement le vote FN. » Le secrétaire fédéral du PS porte une attention particulière au canton de Villemur-sur-Tarn, « où il y a eu l’affaire Molex ». C’est en outre le territoire qu’a choisi Julien Léonardelli pour se présenter, « et les cadres du parti choisissent toujours les territoires les plus tangents, ce n’est pas par hasard si Marine Le Pen s’est présentée à Hénin-Beaumont », poursuit le socialiste. Par ailleurs, la fédération départementale Bleu Marine n’abandonne pas pour autant la vieille rengaine du danger de l’islamisme. Drame de Charlie Hebdo oblige… Du coup, sur la page Facebook du FN Haute-Garonne, on peut voir des candidats distribuer le tract « Péril islamiste, protégeons les Français », téléchargeable de surcroît sur le site FNJ Midi-Pyrénées. Sur le même site, un article signé de Nicolas Boutin (étudiant en journalisme, auteur pour Boulevard Voltaire) revient sur cet événement. Extrait : « Qui parle d’islam dans ces attentats ? Qui parle d’une guerre de civilisation ? Qui parle de la France attaquée ? Qui pose les vrais problèmes de ces actes infâmes ? (…) Seul au Front national, l’acte religieux a été relevé. (…) « Je suis Charlie » n’est qu’un outil de propagande du système, visant à flouter les véritables victimes et auteurs de ces actes. » Au-delà du clivage rural-urbain, pour Elsa Galataud, la montée du FN sera valable un peu partout sur le département du fait de « la paupérisation de tous … Je vois tous les jours, y compris dans mon entourage, des gens qui sont dans la galère. C’est cette désespérance qui fait le FN ; et la Haute-Garonne n’est plus épargnée. Cette crise vient fracasser notre sociologie politique. »
Maître dans la communication
Une chose est sûre : le FN 31 sait communiquer. Les conférences de presse pour présenter les candidats ont été organisées par secteurs géographiques, quand les autres partis n’en ont fait qu’une pour tous leurs candidats. La fédération s’assure ainsi une couverture médiatique plus importante, en jouant notamment avec les différentes éditions de notre confrère La Dépêche du Midi. De manière générale, les points presse, peu fréquents sous l’ère Laroze (ancien secrétaire départemental), se sont multipliés depuis l’arrivée de Julien Léonardelli… Toujours entouré de sa jeune garde fidèle, armée de tablettes, smartphones et caméras. Toutes les conférences sont filmées et les vidéos postées sur le blog de Julien Léonardelli. La force d’un parti rajeuni. « Tout ça ce n’est que de la pub ! Le FN ne changera rien à rien. Ni ici, ni ailleurs », attaque l’UMP René Gies. Conséquence directe ou pas, le comité de vigilance contre l’extrême droite de Midi-Pyrénées, remarque « que les idées d’extrême droite sont de plus en plus prégnantes dans toutes les couches de la société, et pas seulement dans la classe ouvrière comme on voudrait nous le faire croire ». Il ne faut pas pour autant se résigner. Pour Elsa Galataud, il est tout de même encore possible de faire entendre un autre discours : « Beaucoup attendent de nous un message d’espoir. Qu’on les secoue. Qu’on leur dise qu’ils se trompent de colère. »
PS/UMP : quelles consignes de vote ?
Les deux principaux partis doivent d’ores et déjà se préparer à l’éventualité du FN au second tour… En cas de duels PS/FN ou UMP/FN, quelles vont être leurs réactions ? Les élections législatives partielles dans le Doubs, où le « ni-ni » a finalement pris le pas à l’UMP, ont jeté un froid dans le ‘‘front républicain’’. « Pour nous, c’est clair, nous appellerons à faire barrage au FN et donc à voter pour l’autre candidat en face. Il n’y a pas doute ! » insiste Marc Fischer. Du côté de l’UMP et de l’UDI, pas encore de discours officiel des états-majors locaux. Mais l’UMP René Gies a son idée sur la question : « Mon point de vue c’est d’être fidèle au ni-ni. Ni PS, ni FN. Mais rassurez-vous les consignes de vote n’ont plus aucun effet sur le choix des électeurs … L’électeur sera roi. »
L’œil de Philippe Motta: FN en arroseur arrosé
Le FN soupçonné d’avoir forcé le bras de la justice au service d’une manipulation pré-électorale ? Ce n’est pas dit comme ça, mais bien plus subtilement. Toujours est-il qu’après avoir endossé les habits du plaignant, le FN a été condamné pour « abus de constitution de partie civile » à l‘encontre de notre confrère Pascal Pallas, rédacteur en chef de Voix du Midi, et d’un couple d’ex-adhérents. Le FN était allé pleurer dans les robes des juges parce qu’un article de Voix du Midi expliquait que le couple avait fui le FN au motif que des propos racistes, homophobes et autres fins délits discriminatoires attisaient un peu trop obstinément la foi militante. Pascal Pallas avait rapporté les propos concernés. Bien que les instances départementales en aient été informées et avaient jugé urgent de ne rien dire, ne rien faire, le FN en avait soi-disant pris ombrage au niveau national. « Diffamation » avaient couiné les penseurs maison. Notre confrère et les époux transfuges ont donc affronté les juges le 19 janvier dernier. Démentant les efforts du juge d’instruction, le procureur avait jugé l’affaire tellement importante qu’il avait estimé impératif de ne pas requérir contre les accusés, mais de faire valoir que l’incrimination était mal ficelée. Les juges ont vu la même chose : la plainte était non seulement formulée à l’envers mais aurait servi, selon l’appréciation du tribunal, « à resserrer les rangs parmi les militants » face à un risque de « discrédit dans un contexte électoral ». Et hop : 1000 € de dommages et intérêts en faveur des accusés, tous relaxés. Le FN devra en outre payer les frais de justice de notre confrère.
Stéphane Baumont place le FN en arbitre
Notre politologue fait du FN l’arbitre de l’élection départementale, et encourage l’UMP et le PS à anticiper leur discours entre les deux tours : « Plus aucun département n’est à l’abri du danger FN. Plus même le nôtre. On va assister à l’effet pervers du nouveau mode de scrutin. En clair, plus personne n’y comprend rien … S’ajoute à la désespérance de beaucoup, l’incompréhension face à la réforme territoriale. On n’a jamais connu un tel contexte avant une élection sous la 5ème république. Afin d’éclaircir le débat l’UMP et le PS ont tout intérêt à dire dès maintenant ce qu’ils feront entre les deux tours. Feront-ils le Front républicain ? La marge de manœuvre sera étroite pour la droite et le centre qui pourront avoir besoin du réservoir de voix FN. »
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