Pour lutter contre la profusion de propos haineux sur Internet, l’Assemblée nationale vient de voter la proposition de loi de Laetitia Avia, députée En Marche de la 8e circonscription de Paris. Patricia Sultan, juriste spécialisée en droit des médias, la décrypte pour le JT.
©sebastian-herrmannAvec 434 voix pour, 33 contre et 69 abstentions, la proposition de loi portée par la députée En Marche Laëticia Avia a été adoptée le 9 juillet dernier. Elle vise à lutter contre les contenus haineux sur Internet en contraignant à l’autorégulation. Pour cela, le texte impose aux plateformes et moteurs de recherche le retrait des propos illégaux dans les 24 heures suivant leur signalement. Les sites ne respectant pas l’injonction encourront une amende pénale de 250 000 euros et une sanction administrative (4 % du chiffre d’affaires).
À cette dernière mesure, s’oppose une première salve de critiques, notamment autour d’une potentielle interprétation de ce qui peut être qualifié de propos haineux. Pour Patricia Sultan, juriste spécialisée en droit des médias, aucune ambiguïté n’est possible : « Il s’agit ici de déclarations “manifestement illicites” n’ouvrant pas à débat. » Sont concernés l’apologie de crimes contre l’humanité ou de guerres, les injures ou l’incitation à la haine en raison du sexe, de l’orientation sexuelle, du handicap, de la nationalité ou de la religion.
À l’inverse, il existe un risque de signalement excessif. Il est cependant limité selon la juriste : « D’abord parce que seuls seront pris en compte les délits d’injures émanant des victimes elles-mêmes. Il faut avoir subi un préjudice pour les dénoncer. Les propos haineux à portée générale en revanche, pourront être signalés par n’importe quel internaute. Mais attention, parce que les notifications abusives sont punies de 15 000 euros d’amende. Enfin, car la démarche est la même qu’un dépôt de plainte. Il faut décliner son identité et motiver la demande de retrait d’un contenu. »
Peut seulement poser problème la bonne volonté, ou pas, des plateformes et des moteurs de recherche à jouer le jeu. « Ce texte est pour eux le dernier avertissement leur permettant une autorégulation volontaire avant l’intervention de la force judiciaire », note Patricia Sultan. Et pour coordonner le tout, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) voit ses compétences étendues au Web. « Il lui est confié le pouvoir de supervision, de contrôle et de sanction administrative. Il s’assurera ainsi des retraits des contenus haineux et pourra faire un rappel à l’ordre si ce n’est pas le cas ou si cela prend trop de temps », précise-t-elle. Reste la question de l’efficacité réelle des injonctions du CSA.
Pour l’appuyer, la loi prévoit la création d’un observatoire des diffusions haineuses en ligne et d’un parquet spécialisé en matière de numérique composé de magistrats rompus aux particularités d’Internet. « La justice est totalement impliquée dans le processus. De quoi couper court à toute suspicion de modération manipulée par les Gafa ou à une censure gouvernementale », selon Patricia Sultan.
Ces critiques émanent, selon elle, directement des lobbies du Web. « Ce n’est pas hasard si, lorsque vous tapez “loi Avia” sur Google, les premiers référencements font état d’accusations acerbes sur le sujet.» Une carte jouée par les géants du Web, qui se trouvent maintenant devant leurs responsabilités. « Il faudra attendre au moins cinq ans pour tirer un premier bilan de l’efficacité de la loi », prédit la juriste.
Juriste spécialisée en droit des médias, elle enseigne également le cadre juridique de diffusion (presse, Web, cinéma…) à des journalistes et à professionnels de la presse et d’Internet.
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