Le diable se cache souvent dans les détails. Et, en l’occurrence, partout autour de nous dans l’espace public. Chacun à leur manière, la street artiste Popnographe, l’association Osez le féminisme ou la Brigade anti-sexiste arpentent les rues de Toulouse pour mettre en évidence les liens entre les cas de sexisme ordinaire et leurs répercussions à grande échelle.
La première fois qu’on les a vues apparaître, c’était sur les murs du Tabac des thermes, alors fermé pour travaux, sur le boulevard Carnot à Toulouse. Des photos de femmes affichées en noir et blanc, sans plus d’informations, auxquelles on ne prête qu’une furtive attention. Une semaine plus tard, les énigmatiques portraits étaient accompagnés de témoignages racontant des situations de sexisme ordinaire.
« Beaucoup de femmes s’interdisent de porter certains habits »
Un titre était également visible, “Girls don’t dress up for boys”, levant le voile sur le dessein de cette exposition sauvage imaginée par Laurène, jeune street artiste toulousaine opérant sous le pseudonyme de Popnographe. « Le point de départ de ce projet est le rapport aux vêtements. C’est incroyable que l’on en soit encore là, c’est toujours le cœur du problème : beaucoup de femmes s’interdisent de porter certains habits », déplore celle qui a tenu une boutique de fringues vintage avant de se lancer dans l’aventure artistique.
Depuis sa première œuvre sur des panneaux de chantier dans le quartier Compans-Caffarelli, il y a deux ans, Popnographe colle un peu partout à Toulouse, de manière spontanée. Elle s’empare parfois d’espaces d’expression libre, à partir du moment où la surface est assez grande. Ses portraits de femmes, « pas toujours souriantes, pas forcément jolies » tranchent singulièrement avec l’esthétique publicitaire environnante. « Mes images sont brutes, pas retouchées et avec des poses naturelles. Quant aux témoignages, je les restitue exactement tels qu’ils m’ont été confiés. Je veux qu’en les lisant, on puisse aussi les entendre et être sûr que ces phrases ont vraiment été prononcées », souligne-t-elle. Pour les réaliser, Laurène a d’abord fait appel à son entourage avant d’être sollicitée par des inconnues, invitées ensuite à poser dans des vêtements dans lesquels elles se sentent bien. « Le projet a évolué au gré des entretiens. Au-delà des habits, j’ai perçu un très grand besoin d’expression sur les stéréotypes de genre en général. »
« Contribuer à faire évoluer les mentalités »
À l’image de « Girls don’t dress up for boys », prolongement concret de la libération de la parole facilitée par des outils numériques, plusieurs initiatives toulousaines visent la réappropriation de l’espace public. « Ce qui se passe au sein d’un foyer est primordial, mais les enjeux dans la rue sont aussi très nombreux », admet Alyssa Ahrabare, présidente d’Osez le féminisme 31 et porte-parole nationale. À Toulouse, une des actions de l’association consiste à recueillir des témoignages de femmes agressées et d’aller ensuite marquer avec des bombes de craie et des pochoirs l’endroit exact où se sont déroulés les faits, avec l’inscription « Ici, un homme a harcelé une femme ». « Nous utilisons de manière volontaire la forme active. Le but est de visibiliser les harceleurs, mais aussi de faire prendre conscience de la fréquence de ces actes », observe la militante.
Quant à la Brigade anti sexiste (BAS), dont l’antenne toulousaine a été fondée par des membres d’Osez le féminisme 31, elle organise régulièrement des opérations pour épingler des publicités sexistes ou misogynes à l’aide de stickers et de marqueurs délébiles. Le détournement de ces affiches avec des messages tels que « pornographie commerciale », « culture du viol » ou « paye ton annonce sexiste » provoque parfois des réactions violentes. Mais, contrairement à ce qui est reproché aux mouvements féministes, ce genre d’action ne relève pas de la pensée unique ou du dogmatisme, selon la porte-parole d’Osez le féminisme : « Le fait de se demander si une publicité est sexiste ou non génère toujours des débats internes très intéressants et des désaccords. On analyse les postures, les couleurs utilisées. Les cas d’hypersexualisation sont souvent évidents, et d’autres moins flagrants… »
« Ces actes et gestes du quotidien normalisent une situation qui ne l’est pas »
Si ces combats peuvent paraître anecdotiques de l’extérieur, c’est dans les détails que germent les conditions de la perpétuation de la domination masculine, assurent les associations. « Tout est lié. Aucun sexisme n’est ordinaire, mais ces actes ou gestes du quotidien normalisent une situation qui ne l’est pas : la culture patriarcale », analyse Alyssa Ahrabare. En plus de renforcer la sororité, la solidarité entre femmes, ces petites luttes aboutissent parfois à de grandes victoires. En 2017, le Conseil de Paris a ainsi interdit les publicités sexistes ou discriminatoires dans la ville. Les ambitions de l’artiste Popnographe ne vont pas jusque-là : « Si j’ai contribué à faire évoluer les mentalités d’une ou deux personnes, c’est déjà gagné. »
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