La guerre en Ukraine continue de faire rage. Et alors que le Conseil départemental de la Haute-Garonne a déjà montré son soutien aux réfugiés du conflit, Didier Cujives, en charge du tourisme dans le département, de l’Europe, de la coopération et des relations internationales, s’est rendu en Ukraine du vendredi 7 au lundi 17 juillet. Un séjour durant lequel il s’est notamment rendu à Kherson, une « ville fantôme » au Sud de l’Ukraine encore sous les attaques de l’armée russe. Interview.
Didier Cujives, vous vous êtes rendu en Ukraine pendant une dizaine de jours. Quelles étaient vos motivations ?
Le Conseil départemental m’a nommé en tant qu’élu référent pour tout ce qui concerne les dispositifs d’aide lorsque nous estimons nécessaires de soutenir un territoire international. Cela a été le cas notamment après l’explosion à Beyrouth en 2020 où le Département a aidé la ville à se reconstruire. Mais à titre personnel, j’ai besoin d’assurer la traçabilité de nos actions et vérifier que tout ce que nous entreprenons est bien mis en place. Je l’ai fait en me déplaçant à Mossoul en Irak, ou encore en allant à Alep, en Syrie.
Ainsi, j’avais deux objectifs en me rendant en Ukraine. Le premier était d’aller sur place, pour que je puisse me rendre compte de la bonne installation du dispositif d’aide que la Haute-Garonne a financé pour la ville de Kherson. Et puis le deuxième, un peu plus personnel : j’ai voulu rejoindre des amis proches habitant à Kiev.
Ainsi, étiez-vous mandaté par le Conseil département pour ce voyage ou y êtes-vous allé par vos propres moyens ?
Non, je n’ai pas été mandaté par le Département. C’était une démarche personnelle que j’ai voulu entreprendre parce que je voulais comprendre la guerre et être capable de témoigner de ce que j’ai vu de mes propres yeux. J’ai pris les contacts nécessaires avant de partir, et une fois sur place, je me suis débrouillé par mes propres moyens. Excepté à Kherson, où j’ai été accompagné par un garde du corps et les élus locaux.
Comment avez-vous réussi à rejoindre Kherson, sur le front militaire ?
Mon voyage a débuté en Moldavie, le pays le plus proche de Kherson. Mais ce n’était pas gagné parce que deux jours avant mon départ, il y a eu un attentat à l’aéroport de Chișinău, la capitale. Mais j’ai finalement pu rejoindre la Moldavie et ensuite prendre un bus pour rejoindre Odessa. Il faut savoir qu’il n’y a aucun moyen de transport qui nous amène directement à Kherson. J’ai donc fait des sauts de puce. Dans le véhicule vers Odessa, j’étais le seul étranger. Les autres personnes étaient des Ukrainiennes qui retournaient chez elles. Alors que je m’approchais de la ville, je ne me suis pas tout de suite rendu compte que j’étais dans un pays en guerre. Il y avait des sacs de sable autour des lieux symboliques, des militaires partout et quelques rappels de bombardements, mais tout me paraissait “normal”.
Sur le quai de la gare routière, j’ai été bouleversé par les amoureux qui pleuraient dans les bras l’un de l’autre avant que le fiancé ne reparte sur le front.
J’avais très envie de découvrir Odessa, qui est pour moi une ville mythique. J’y ai passé deux nuits puis j’ai pris un bus vers Mykolaïv, au Nord de Kherson. Sur le quai de la gare routière, les couples qui se disaient au revoir m’ont bouleversé. Les amoureux pleuraient dans les bras l’un de l’autre avant que le fiancé ne reparte sur le front. Puis j’ai embarqué dans un minibus de 12 personnes dans lequel la moitié était des militaires. Les gens me regardaient bizarrement quand je disais où je comptais me rendre. Ils me disaient : “Mais monsieur, vous savez qu’il y a la guerre là-bas ?”. Ce n’est qu’à Mykolaïv que j’ai vu les premières traces de combats.
Comment s’est passée votre arrivée sur Kherson ?
J’ai ensuite pris un deuxième bus en direction de Kherson. Plus nous approchions de la destination, plus nous pouvions apercevoir des maisons sans toit avec des bâches bleues. La campagne autour de la ville était entièrement détruite. Mais à Kherson, je n’ai pas eu l’impression qu’il y avait beaucoup de dégâts sur le moment. Une fois arrivé, j’ai été accueilli par l’ancienne maire de Kherson, Halyna Luhova, une traductrice et un garde du corps.
Mes hôtes m’ont amené à un hôtel où je suis resté pendant trois nuits et ils m’ont donné les consignes de sécurité. Les Russes sont de l’autre côté du fleuve Dniepr, à seulement 700 mètres. Et de jour comme de nuit, ils tirent sur la ville pour terroriser les 60 000 habitants restants de Kherson. J’ai vraiment eu cette impression de ville fantôme lorsqu’on sait qu’il y en a initialement 330 000. Pour se protéger, il y a des règles à respecter. Dans ma chambre notamment, les fenêtres étaient calfeutrées. Dès que le couvre feu de 20h sonnait, nous devions rester enfermé dans une pièce complètement opaque sans allumer la lumière. Et nous entendions en permanence les obus tomber. Sans oublier que dès qu’il y avait une sirène, je devais me mettre à l’abri derrière des murs spécifiques.
Avec autant de consignes à suivre, comment vous sentiez-vous ?
Je ne vais pas le cacher, j’avais peur. Les sirènes et les obus tombaient en permanence. La première nuit d’ailleurs, je n’arrivais pas à dormir et j’étais debout tout le temps. Finalement, j’ai mis des boules Quies. Ce qui n’était pas une bonne idée car dans la nuit, la sirène a retenti et je ne me suis donc pas mis à l’abri… Ça m’a servi de leçon. Le lendemain, nous avons visité la ville avec Halyna Luhova, mon garde du corps, la traductrice et la directrice d’une école.
Et là, les bras m’en sont tombés. Si la ville fonctionne toujours, j’ai vu des écoles, des maternités et des hôpitaux détruits. Dans mon périple, nous nous sommes rendus dans un établissement scolaire touché par les bombes. La vue m’a bouleversée, les bombes ont complètement détruit une classe alors que celle d’à côté était intacte. J’ai alors réalisé les ravages de la guerre.
Lors de nos déplacements, je n’étais pas fier. Nous entendions régulièrement les obus s’abattre sur la ville. D’ailleurs, à deux reprises durant mon séjour, des obus sont tombés à environ 30 mètres de moi. J’ai cru mourir de peur, au point de m’effondrer au sol et de me recroqueviller sur moi-même. Ça fait un bruit effroyable, c’est terrible. Je me suis dit : “Ça y est, c’est la fin”.
Quelle a été la nature de vos échanges avec les élus locaux ?
J’ai passé quelque temps avec Halyna Luhova. Elle m’a fait visiter plusieurs abris de la ville. Ainsi, j’ai pu voir comment les Ukrainiens installeront le matériel que nous leur enverrons. Puis, je me suis rendu à la mairie de Kherson qui se trouve désormais sous terre. Le nouvel édile est un commandant militaire ukrainien, Roman Mrochko. Nous avons alors échangé sur le matériel dont ils ont besoin pour les abris, soit des groupes électrogènes et des lits de camp… Nous avons mis à jour la liste des nécessités puis nous avons évoqué les autres champs d’actions que nous pourrions mettre en place avec le Département.
Le commandant a proposé que nous travaillions sur la reconstruction de l’école n°12 qui est francophone. Mais cela ne pourra se faire qu’après la guerre. Nous avons également parlé de la possibilité d’accueillir quelques jeunes enfants ukrainiens pour un séjour en Haute-Garonne loin de la guerre. Après quelques jours à Kherson, je me suis ensuite dirigé vers Kiev en train. C’était la première fois qu’il circulait à nouveau. J’ai donc fait 11 heures de trajet pour rejoindre mes amis.
L’ambiance à Kiev était-elle similaire à celle de Kherson ?
Nous avons circulé dans Kiev où nous avons vu les tanks russes que les Ukrainiens ont détruits. Ils les présentent un peu comme des trophées. Je me suis également rendu à Boutcha, où il y a eu les massacres de civils, à 15 kilomètres de la capitale. C’est bouleversant. J’ai vu des cimetières de voitures et le fameux pont d’Irpin (Détruit par l’armée ukrainienne pour contrer l’invasion russe, ndlr). Ce dernier, les Ukrainiens vont le garder en l’état pour se souvenir des atrocités de la guerre.
Encore aujourd’hui, la Russie attaque toujours Kiev mais ce n’est pas complètement détruit. Je suis allé assister à un concert des Quatre saisons de Vivaldi, sur le toit d’un immeuble. Au beau milieu du concert, nous avons été alertés d’une attaque des Russes. Tout à coup, tout le monde est descendu et s’est mis à l’abri en l’espace de quelques instants. 20 minutes après, l’alerte s’est terminée, et le concert a pu reprendre. Je n’étais pas à l’aise, mais j’ai remarqué une certaine résilience chez les Ukrainiens.
Après plusieurs jours en Ukraine, comment êtes-vous rentré en France ?
Je me suis ensuite dirigé vers Liyv avant de rejoindre la Pologne pour prendre un avion vers la France. Une fois rentré, je me suis senti changé. C’est bouleversant ce qui se passe là-bas. Les Ukrainiens vivent dans le stress en permanence. On peut se rendre dans le pays sans voir de traces de la guerre. Je pensais que la guerre était la même partout. Mais non, il y a effectivement des attaques permanentes dans tout le pays, mais l’ambiance à Kherson est intenable. Je ne m’attendais pas à ça.
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