Par Mathieu Mรฉric
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ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย Rencontrerย le comรฉdien et metteur en scรจne Jean-Pierre Tailhade est un moment rare et exquis au cours duquel l’histoire rรฉcente du thรฉรขtre franรงais se fait vivante. Les souvenirs fusent de la bouche de cet รฉlรฉgant histrion, compagnon dรจs les annรฉes soixante de l’รฉpique aventure du Thรฉรขtre du Soleil, qui poursuivra son chemin artistique entre Paris, Toulouse et Lisbonne, ร coup de fortes expรฉriences thรฉรขtrales. En bref, Jean-Pierre Tailhade est un pรจlerin du thรฉรขtre, un ambassadeur de l’art de l’acteur et,ย pour son retour dans la ville rose, sur les planches de la Cave Poรฉsie,ย il fait escale accompagnรฉ d’une grande รฉcriture du thรฉรขtre franรงais, l’actrice et dramaturge Denise Bonal. Entremรชlรฉs de souvenirsย de rencontres inoubliables et d’anecdotes savoureuses, qui vont de valises volรฉes en Pologne juste avant sa rencontre avec le grand homme de thรฉรขtre Jerzy Grotowski, aux rรฉpรฉtitions dans l’ancien restaurant “Chez Paloma” de la rue Gambetta, l’acteur a bien voulu nous parler de son spectacle “Mais si, tu sais bien! ” qui est ร l’affiche du 6 au 17 Octobre.
ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย En reprenant et adaptant pour la scรจne, onze des nouvelles inรฉdites de la dramaturge, le comรฉdien, seul sur scรจne, ne s’embarrasse pas de la surcharge d’un dรฉcor qui pourrait trรจs vite verser dans le naturalisme tant ces nouvelles sont ancrรฉes dans le rรฉel le plus prosaรฏque. C’est le contrepied total avec pour seul support une porte sur laquelle sont posรฉs deux clous qui soutiennent des feuilles contenant des dessins pour chaque nouvelle, de l’objet principal ou du thรจme suggรฉrรฉ par celle-ci. Ce minimalisme extrรชme m’รฉvoque tout de suite l’univers d’un haรฏku japonais oรน le mot semble faire chair avec la nature sans aucune autre explication. Dรฉcor sec, sans appui de jeu pour le comรฉdien, “รงa c’est Mathieu” dit humblement le comรฉdien ร ce sujet, citant son collaborateur artistique et compagnon thรฉรขtral de longue date, le metteur en scรจne, acteur et directeur du thรฉรขtre Le Ring ร Toulouse, Michel Mathieu. Cette mise en dรฉcor, รฉvitant le piรจge naturaliste, est construite pour attirer notre attention et notre concentrationย sur l’“essentiel” (l’essentiel du thรฉรขtre tout court ?) selon Tailhade, un corps, une voix, un texte. Ici aucun artifice, si ce n’est cette fantastique musique rapportรฉe des Aรงores par le comรฉdien qui retentit pour marquer la fin de chaque nouvelle et l’arrivรฉe d’une autre, mais un corps qui รฉvacue tout superflu, et rรฉalise ses gestes simples avec une รฉconomie de moyens qui les rend uniques, essentiels. Des dรฉplacements qui se concentrent sur ce qu’il y a ร faire plutรดt que de montrer ce que l’on fait. On sent un comรฉdien en possession de ses moyens mais qui les retient, au service du texte, ce qui impressionne beaucoup plus qu’une exubรฉrance d’รฉnergie qui serait totalement dรฉplacรฉe. Le corps se place donc, au service du texte, se met derriรจre lui, car c’est bien le texte qui va habiter la scรจne et peupler l’imagination du spectateur. Effectivement le tour de force que rรฉussit Tailhade avec ces textes qui paraissent inoffensifs et compliquรฉs ร sortir de leur situation empruntรฉe dans un rรฉel banal au premier abord c’est de les rendre fantastiques, mystรฉrieux, ร la maniรจre d’un Poe. Les personnages sont ร la fois attachants, chaleureux, intrigants. L’acteur en extrait une substantifique moelle dรฉlicieuse qui nous fait entendre la souffrance des uns, la nostalgie des autres, l’absurditรฉ du monde en gรฉnรฉral et de la tendresse toujours avant de nous rรฉvรฉler, comme un prologue au spectacle, un secret de fabrication, vouloir faire, selon les dรฉsirs de son auteur “entendre la vraie vie en-dessous qui continue”. Oui, la vie continue, comme un fleuve, mรชme siย son cours peut-รชtre perturbรฉ, ses rives inondรฉes, victimes de terribles crues, la vie malgrรฉ tout continue. Dans ce thรฉรขtre pauvre, l’acteur se transforme en philosophe et nous donne ร entendre une vรฉritรฉ d’une sagesse toute orientale derriรจre chaque mot. Inlassablement, obstinรฉment,ย le temps avance et malgrรฉ ses apories, nous sommes lร , entรชtรฉs ร rester vivants. Et Tailhade nous aide ร cela, nous en fait prendre conscience avec profondeur. Le comรฉdien nous donne de la force tout comme il donne de la vie avec sa voix aux personnages des nouvelles, tout comme l’organicitรฉ dans son jeu va ร l’essentiel, nous rappelle ce qu’est l’essentiel, la vie, comme une vague, calme et furieuse.
ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย ย Eloge du temps qui passe, de ses oscillations, de la Permanence dans un monde du Consommable, cette adaptation thรฉรขtrale est une rรฉussite. Aprรจs l’incroyable “Lettres ร nos hommes” en collaboration avec Didier Dulieux et “Les Braises” de Sandor Marai, Jean-Pierre Tailhade fait ressurgir un trรฉsor avec un spectacle d’une beautรฉ simple et complexe ร la foi, doux et taillรฉ dans la pierre du quotidien aussi. Courez ร la rencontre de cet objet paradoxal, la vie, que le comรฉdien sait si profondรฉment sublimer.
ยซย Mais si, tu sais bien!ย ยป ร la Cave Poรฉsie-Renรฉ Gouzenne du 6/10 au 17/10ย
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