Work in Progress de l’artiste peintre André Cervera à l’Université Toulouse 1 Capitole.
A l’initiative de son très actif Pôle culturel, l’Université Toulouse 1 a accueilli le peintre sétois André Cervera pour une performance picturale inédite. Effectivement, les deux toiles qui désormais peuplent l’un des murs de Hall 1 de l’Arsenal, et ce jusqu’en décembre, ont été réalisées en cinq jours mais surtout, l’artiste a réalisé ce travail au beau milieu du Hall et des étudiants, en direct, sans plan préétabli et donc à la vue de tous.
Cervera est un expressionniste, il représente dans ses toiles des saynètes peuplées de figures humaines en mouvement, en train de vivre, travailler, danser et s’exprimer. On peut aussi voir des portraits de figures croisées au gré des voyages réguliers de l’artiste en Extrême-Orient, notamment la Chine. Seulement, en bon expressionniste, Cervera s’attache à outrer les émotions, les rendre démesurées, installant le chaos dans la réalité, sublimant une rage d’avant-gardiste héritée du peintre belge James Ensor. Mais le sétois va plus loin, il opère une histoire de l’art inversée. Par ses traits noirs, ses fonds colorés, par une glaise et des personnages naïvement croquifiés, il remonte jusqu’à l’art traditionnel des sociétés non-occidentales, très maladroitement et malheureusement appelé “primitif” ou “premier” en Europe. Cette source d’inspiration avec sa magie imaginative, sa représentation des rites et surtout son rapport à l’objet très particulier, animiste, qui permet d’utiliser des éléments naturels comme la terre ou le sang, l’artiste sétois s’en inspire totalement. D’ailleurs, Cervera, lors du vernissage, avoue avoir emprunté de la terre issue du campus de Toulouse 1 Capitole pour réaliser les toiles. Détail loin d’être anodin qui l’inscrit tout à fait dans un processus créatif qui explore ces arts dits “premiers”. Dès lors, on s’éloigne des émotions extraverties, du mouvement pour plus se concentrer sur l’acte créateur lui-même et non pas seulement le résultat validé par la toile exposée. D’où cette nécessité de Cervera, et il le dira lors du vernissage, d’un travail plus improvisé, en direct et même accompagné de musiciens improvisant eux aussi. Une démarche artistique pollockienne qui appelle le risque, le danger, moteurs de cette logique du “work in progress”. Cet éloignement, non-total toutefois, d’un certain expressionnisme rend l’oeuvre plus abstraite, détachée du réel, plus métaphysique.
La métaphysique est grandement au rendez-vous des deux grandes toiles réalisées, baptisées “La confrontation de deux imaginaires”. Cervera oppose deux idées de la culture, celle appelée “mainstream”, issue de l’Amérique et qu’il symbolise dans l’une des deux toiles avec des figures de super-héros tournant autour du globe terrestre, prêt à l’envahir, si ce n’est pas fait. Et il y a l’héritage antique que nous avons reçu, nous, européens, représenté dans l’autre peinture par des figures de la mythologie grecque, Ulysse au premier rang. Derrière cette confrontation, Cervera pointe la colonisation de la culture populaire américaine en Europe. Face à cette américanisation, le rempart, le refuge est notre culture gréco-latine. Ce schéma binaire est bien trop simpliste du point de vue de la culture, si ce n’est politiquement. Il installe de façon implicite une hiérarchie entre une culture haute, belle, prestigieuse, dont nous serions nostalgiques ici en Europe et une culture infantile, de masse et vorace. Il diabolise une culture populaire, venue soit disant “d’en bas”, consumériste, au message absent. Heureusement, que cette vision d’une lutte fratricide entre deux mondes reste dans le domaine du ciel des idées, de la métaphysique car pour aussi didactiques qu’elles soient, les deux toiles de Cervera n’ouvrent pas à une réflexion sur les relations culturelles entre ces deux continents et œuvrent plutôt à une séparation bien tranchée, un refus de l’autre acté. Un comble dans un temple du savoir comme l’Université.
Mathieu Méric
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