Renouveau. Inévitablement, comme tout sportif de haut niveau, les rugbymen arrivent rapidement à l’âge de la retraite (30 ans en moyenne). Mais que faire une fois qu’ils n’entrent plus dans un stade par les vestiaires ? Comment préparer leur avenir alors que toute une vie active est à construire ? La reconversion des joueurs de rugby professionnels ne se fait pas sans difficulté même si la plupart affichent une belle réussite.
Comment préparer son retour à l’emploi lorsque les 15 dernières années de sa vie ont été exclusivement consacrées au rugby ? Telle est la question que se posent tous les joueurs de haut-niveau, un jour ou l’autre. Si pour certains, les voies semblent toutes tracées, pour d’autres la remise en question est plus difficile. Conscient de l’enjeu et des problèmes que peut susciter un retour à une vie plus classique, le syndicat Provale, Union des joueurs de rugby professionnels, qui défend les intérêts individuels et collectifs des rugbymen, dispose d’une branche reconversion pour accompagner les jeunes retraités dans leurs démarches. En 2005, est créée l’association Agence XV en partenariat avec la Fédération française et la Ligue nationale. « Notre rôle est d’accompagner la formation, la reconversion et le retour à l’emploi des joueurs évoluant ou ayant évolué dans les clubs de Top14, ProD2, voire Fédérale 1 », explique Lucas Bouty, chargé de mission. Et le moins que l’on puisse dire est que cette reconversion se passe plutôt bien pour les rugbymen de manière générale. Ce constat émis par l’Agence XV est confirmé par une étude, commandée par Provale il y a quelques années qui fait état d’un taux de 95% de joueurs ayant retrouvé une activité professionnelle après leur retraite sportive (panel de 780 rugbymen). Mais Lucas Bouty nuance cette réussite en évoquant la nouvelle génération : « Depuis l’avènement du rugby professionnel en 1998, et l’arrivée de joueurs nés en 1982, comme Clément Poitrenaud ou Frédéric Michalak par exemple, les choses ont changé. » Avant cela, les joueurs ne pensaient pas faire de leur sport un métier, mais la nouvelle génération, elle, n’a pas la même vision. « Le rugby est réellement devenu leur profession… mais seulement pour un temps ! Ils ont du mal à comprendre qu’un jour, ils devront passer d’un salaire de 17 000€ en moyenne pour le Top14 (5 500€ en ProD2) au salaire de “monsieur tout le monde”. Ils sont parfois complètement déconnectés de la réalité et ne savent même pas à quoi correspond un salaire normal. »
« La plupart souhaite piloter leur propre entreprise »
Ce changement d’état d’esprit, rend plus complexe la reconversion pour ces jeunes qui se concentrent sur le rugby, ne vivent que pour le ballon ovale, à l’inverse de leurs aînés qui eux, ont réalisé des études et ont conservé une activité professionnelle en parallèle de leur carrière sportive, comme David Berty, ancien ailier toulousain (1987-1998) : « Notre génération était pluridisciplinaire car nous ne pouvions pas encore vivre du rugby. Une fois devenu professionnel, j’ai gardé mon emploi qui a bien sûr été aménagé en conséquence par mon employeur. » L’Agence XV tente donc de les sensibiliser dès leur intégration dans les centres de formation à cette difficulté. Dans cette optique, l’Agence XV, en partenariat avec Toulouse Business School, a mis en place une formation gestion-management, compatible avec les exigences d’un contrat sportif professionnel : « Une cession de 22 joueurs suivra ce cursus scolaire incluant des classes virtuelles et un enseignement à distance, car la principale difficulté reste pour eux de concilier leur emploi du temps de rugbymen avec des études. » Implicitement, cette situation mène beaucoup de joueurs à choisir des secteurs d’activité communs. Le chargé de mission Agence XV poursuit : « La plupart souhaite piloter leur propre entreprise », comme Grégory Lamboley, Philippe Spanghero et Vincent Clerc qui ont créé Team one group, société spécialisée dans l’événementiel et le marketing sportif, « et beaucoup opte plutôt pour l’ouverture d’un restaurant ou d’un bar pour bénéficier de leur notoriété », à l’image de Byron Kelleher (Haka Corner) ou Trevor Brennan (le De Danu). Mais ce n’est pas le cas pour tous et plusieurs profils se dégagent alors. Certains ont déjà pensé à leur reconversion durant leur contrat pro et attendent leur retraite pour commencer des études ou des formations, à l’image de Benoît Lecouls, ancien pilier du Stade Toulousain (2001-2004 puis 2008-2011), qui se destine à l’ostéopathie.
« Excepté Sébastien Chabal peut-être, le rugby ne permet pas d’assurer ses vieux jours. »
« C’est pendant ma carrière que j’ai trouvé ma voie, au contact des intervenants compétents qui ont travaillé sur mon corps pendant des années », explique le joueur. Pour lui, c’est évident, c’est le rugby qui lui a permis de découvrir ce métier. Après trois ans d’étude, il devrait obtenir son diplôme en décembre prochain : « J’ouvrirai ensuite mon propre cabinet », poursuit-il. Et comme lui, beaucoup tentent de rester en contact avec le sport par conviction, ou parce que « cela les maintient dans leur zone de confort. Ils ont souvent peur de quitter ce milieu qu’ils connaissent et les sécurisent », analyse Lucas Bouty. Ils intègrent ainsi les staffs des grands clubs en tant qu’entraîneur, préparateur physique, kiné ou encore coach mental. D’autres enfin, profitent des liens tissés au cours de leur carrière notamment auprès des sponsors comme les assurances, à l’image de David Skrela, le BTP ou les banques comme David Berty. Ce dernier avoue volontiers qu’il « a fait jouer ses relations pour intégrer le Crédit Agricole dans lequel je travaille depuis 20 ans. Après mon service militaire, quand le Stade Toulousain m’a proposé de réintégrer l’équipe, j’ai posé les conditions. À l’époque, nous n’étions pas encore pro et j’avais donc besoin d’un emploi. J’ai alors annoncé aux dirigeants que s’ils voulaient que je revienne, ils devaient me trouver un travail, ce qu’ils ont fait avec leur sponsor du Crédit Agricole. » Le relationnel avec les acteurs économiques des clubs est l’un des « principaux leviers dont doivent se servir les joueurs », conseille le représentant de l’Agence XV. Pourtant, ils hésiteraient pour beaucoup à l’utiliser, contrairement aux idées reçues, ce n’est pas leur monde : « Nous les y encourageons car ils n’ont pas forcément conscience que, durant leur carrière, ils ont accès facilement aux décideurs d’entreprises qui pourraient demain les recruter. » Certains d’entre eux choisissent des options moins faciles, voire même surprenantes. Clément Poitrenaud se destine à la photographie par exemple, quand Yves Donguy s’apprête à ouvrir un foodtruck spécialisé dans la cuisine africaine après avoir hésité avec la création d’une entreprise tous travaux dans le BTP. Ainsi, grâce à l’accompagnement de Provale, certains joueurs peuvent même nourrir de belles ambitions, jusqu’aux plus insolites comme conseiller funéraire, gérant de crèches, glacier et même océanographe pour le Perpignanais Alan Brazo.
Alors même si le rugby peut être un tremplin, encore faut-il savoir se procurer les roulettes pour s’en servir. Savoir saisir les opportunités est une priorité car, contrairement au milieu du football, « les rugbymen doivent travailler par nécessité à 99%. Excepté Sébastien Chabal peut-être, le rugby ne permet pas d’assurer ses vieux jours. »
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