Avant sa majorité, Camille Stephan avait déjà passé plus de la moitié de sa vie à l’hôpital : née avec une maladie génétique qui attaque son foie et son rein, la jeune femme a subi une double greffe d’organes à sept ans d’intervalle : l’un provenait d’un anonyme, décédé, l’autre de son père, bien vivant. Au travers de son récit, elle souhaite rendre hommage à ses donneurs et « donner de la force » à d’autres malades.
Au secrétariat de gynécologie de l’hôpital de Rangueil (CHU de Toulouse), une jeune femme blonde, aux yeux rieurs et à la voix douce, accueille inlassablement les patients. Rien, en apparence, ne la différencie des autres. Pourtant, la vie de Camille Stephan est comparable à un long parcours du combattant. Dès l’âge de trois mois et demi, hospitalisée en urgence avec une forte fièvre, elle fait une hémorragie interne dans les bras de sa mère. Le verdict tombe : elle souffre d’une polykystose hépato-rénale, le nom barbare d’une maladie génétique rare et sévère qui détruit son foie et ses reins.
Toute son enfance, Camille « alterne entre l’école et l’hôpital » et passera autant de temps dans l’un que dans l’autre. Contre l’avis des médecins, qui voudraient la voir rester à la maison « sans rien faire », de peur qu’un mauvais coup au ventre ne lui soit fatal, son père tient à ce que sa fille vive pleinement. « Il m’a emmené faire du vélo, de l’équitation et même du ski. Grâce à lui, j’ai profité de chaque moment », souligne-t-elle.
Jusqu’en 2006, son état reste relativement stable. Soudain, la jeune fille déclenche, sans raisons, une première septicémie. Suivie de nombreuses autres. « J’étais régulièrement hospitalisée, sous antibiotiques et mon état empirait », raconte-t-elle. Huit ans plus tard, le 14 juillet 2014, tout juste âgée de 19 ans, Camille fait un choc septique. Entre la vie et la mort, elle est plongée dix jours dans un coma artificiel.
« Ils ont dit à mes parents : soit elle se bat, soit c’est fini. Il n’y a rien à faire qu’attendre »
La jeune femme remporte cette bataille. Mais son corps est à bout : les mois suivants passent comme un mauvais rêve, sous haute dose de morphine. Chaque septicémie l’affaiblit un peu plus. Sa famille se prépare au pire, le foie de Camille est entièrement détruit et seule la greffe d’un organe entier pourra lui sauver la vie, excluant ainsi tout don d’une personne vivante. Le 29 mars 2015, le coup de téléphone tant espéré retentit. Un foie est disponible. « Elle risque de mourir ? », s’inquiète son petit frère. « Oui », répond le chirurgien, « mais on va tout faire pour que ça n’arrive pas ! »
L’opération dure neuf heures. A son réveil, douloureux, la jeune femme fait une crise d’épilepsie, car après huit mois sous morphine, le sevrage est violent. Néanmoins, quelques semaines plus tard, et malgré « sa nouvelle cicatrice impressionnante », son corps va mieux. « Sans la greffe, je serais morte. C’était une question de semaines », constate-t-elle pragmatiquement. Mais elle ne parvient pas encore à accepter l’inacceptable : vivre parce qu’un autre est parti, vivre avec le foie d’un mort. « Au début, je n’arrivais même pas à mettre la crème sur la cicatrice. Je ne supportais pas de me regarder dans un miroir », murmure-t-elle.
Camille cherche à savoir qui était son donneur. Le compte-rendu opératoire lui apporte quelques éléments de réponse : « C’était une personne jeune, décédée dans un accident de la route », confie-t-elle avant de poursuivre : « Je ne sais pas si c’était un homme ou une femme mais je pense souvent à sa famille. Même si aujourd’hui j’ai dépassé ce sentiment terrible, l’acceptation d’un organe étranger dans mon corps aura bien pris deux ou trois ans. »
Dans sa vie de jeune adulte, les choses s’améliorent. Jusqu’en 2022. Son nouveau foie remplit ses missions, mais les médicaments antirejets accélèrent la détérioration de son rein. « À chaque prise de sang, les résultats étaient de plus en plus mauvais. Il a fallu se rendre à l’évidence : c’était la greffe ou la dialyse. », résume-t-elle.
« Mes parents étaient compatibles tous les deux. J’ai eu de la chance ! » ose-t-elle affirmer. Son père sera le donneur. Au terme d’une attente « interminable », après une batterie d’examens et une convocation devant un jury « qui confirme que le choix du donneur est libre », tous deux sont opérés le 23 mars 2022. « Je ne remercierais jamais assez mon père. Grâce à lui, non seulement je vis, mais je revis ! » déclare la jeune femme avec force.
En septembre 2022, Camille reprend la vie active et atteint son objectif : travailler dans un CHU. « L’hôpital des enfants à Purpan a longtemps été ma deuxième maison. Et avec tout ce que j’ai vécu, j’ai de l’empathie à revendre, je sais rassurer les patients. Surtout, je tenais à rendre au mieux tout ce qu’on m’avait donné », insiste-t-elle.
« A part le pamplemousse, qui a un effet contradictoire avec les anti-rejets, je peux manger de tout. J’ai même le droit de boire un verre de temps en temps ! » avoue-t-elle. Son quotidien ? Une voiture, un travail, un copain, des projets… Et des comprimés, qu’elle prendra toute sa vie matin et soir. « Si l’on excepte le suivi médical et les traitements, je mène la vie normale d’une jeune fille de 29 ans », ajoute Camille, amusée. Elle balaie le sujet : « Je suis sous traitement depuis toujours, alors quelques médicaments de plus, franchement… »
Camille va de l’avant. Elle s’est fixée des objectifs : obtenir un CDI à Rangueil. Avoir un enfant. Et continuer de témoigner et de sensibiliser au don d’organes, via l’association France rein. « On peut s’inscrire sur Internet ou garder un mot sur soi ou sur son téléphone qui mentionne que l’on souhaite faire don de nos organes. Si une personne n’en parle pas à sa famille, ce sont ses proches qui prendront la décision sans savoir quelle aurait été sa volonté, c’est dommage », souligne-t-elle, gravement. Avant de retrouver son enthousiasme habituel : « Parce que l’important est de garder la force, la joie, l’envie de se battre ! Il existe toujours des personnes qui vous tendront la main », conclut-elle.
Marie-Dominique Lacour
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