Trottoir. Certains d’entre nous se retrouvent seuls โฆ Jusqu’ร la fin. Mais rien ne doit รชtre une fatalitรฉ et les initiatives existent.
Par Julien Davenne
Cโest une rรฉalitรฉ discrรจte, de la catรฉgorie de celles que lโon nโรฉvoqueย quโavec indignation et courroux, juste avant de la recouvrir dโun voile suffisamment opaque pour lโoublier plus facilement. Tous les ans, dans les rues de la douce France, des hommes (surtout) et des femmes (aussi), meurent seuls, le visage sur le macadam ou sur un pauvre carton, dans un dernier souffle que personne ne viendra recueillir. Avant dโรชtre un mort de la rue, on nโest le plus souvent quโune ombre de la vie. Les รฉvaporรฉs de lโespoir vivent ร la marge de la marge, meurent en solitaires prรฉcoces, leur espรฉrance de vie, – mais le terme est-il judicieux – รฉtant infรฉrieure de trente ans ร la moyenne de la population. Quand ils ouvrent une bouteille, les gens de la rue versent une rasade au sol, ร la mรฉmoire des copains disparus. De cette pratique mรฉmorielle, lโassociation toulousaine Goutte de Vies a tirรฉ son nom, maniรจre de coller au rรฉel, dโรชtre au cลur du sujet. Ce sont des professionnels de premier rang qui sont ร lโorigine de la crรฉation de lโassociation. Travailleurs sociaux ou personnel mรฉdical, ils savent ce quโexclusion veut dire, ils nโignorent rien de la dimension sordide de la fin de vie de ceux qui ont trimballรฉ des annรฉes durant leur solitude, ne trouvant le plus souvent le rรฉconfort que dans lโivresse partagรฉe avec les copains de galรจre.
ย “partir ร la recherche des familles”
Goutte de vies,ย cโest un peu le front du refus. Refus de voir ainsi des vies sโรฉvanouir sans autre cรฉrรฉmonie que la promesse dโun long sรฉjour dans les tiroirs glacรฉs de la morgue. Cโest quโaprรจs un dรฉcรจs, la personne sans domicile devient objet de procรฉduresโฆIl faut sโassurer des causes de la mort, une autopsie peut รชtre pratiquรฉe, il fautย partir ร la recherche des familles, des proches, des copains. Quand la personne est dโorigine รฉtrangรจre, les dรฉlais sโallongentย encore jusquโร lโabsurde, jusquโร lโhorreur.ย Alors, pour remettre de lโhumanitรฉ, une cรฉrรฉmonie est organisรฉe par lโassociation.ย Des tรฉmoignages sont collectรฉs, un rรฉcit est produit, maniรจre de transmettre et de faire trace. Paradoxe, cโest souvent au moment de la cรฉrรฉmonie, avant la crรฉmation ou lโinhumation que les familles peuvent prendre conscience de la solidaritรฉ de la rue, des amitiรฉs nouรฉes, de la rรฉalitรฉ de ce monde inconnu et ignorรฉ qui รฉtait celui dโun parent souvent proche que les routes de la vie avaient รฉloignรฉ. Les gens de la rue ne meurent pas toujours dans la rue, certains dรฉcรจdent dans des lieux dโhรฉbergement ouย de soins, mais pour lโassociation, tous doivent pouvoir bรฉnรฉficier de ce moment de considรฉration qui fait passer la personne de lโรฉtat dโobjet ร celui de sujet. Reconnaรฎtre lโindividu dans sa singularitรฉ et dans ses choix estย une constante de lโaction de Goutte de vies. En 2013, 10 cรฉrรฉmonies laรฏques, 6 catholiques et 4 musulmanes ont รฉtรฉ organisรฉes. Sans attache politique ni confessionnelle, lโassociation sโinterdit tout jugement sur les personnes, sur leurs choix, sur leurs vies. Goutte de Vies, cโest une petite trentaine de personnes, un budget minimaliste, des projets audacieux. Au premier rang de ceux-ci, la crรฉation dโune Maison de retraite pour les gens de la rue a retenu lโattention des diffรฉrents acteurs politiques. Lโattention est lร , ne manque plus que lโintention.
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