ETONNANT. Depuis un mois, une drรดle dโinstallation sโaffiche dans les jardins du musรฉe des Abattoirs ร Toulouse. Exposition dโart contemporain ? Pas du tout :ย il sโagit de la petite ferme de demain, individuelle, autonome, รฉconome et urbaine. Elle constitue le point de dรฉpart de notre premier dossier de lโรฉtรฉ. En cinq pages nous vous proposons de faire le tour de notre assiette, en essayant de retrouver du sens. Si cette ferme urbaine trouve sa place, cโest parce que nous avons grand besoin, en ville, de nous rapprocher de nouveau de nos producteurs. En six siรจcles, notre repas a fait รฉnormรฉment de chemin. Sans doute trop, nous explique une historienne de lโalimentation. Et presque pour rien. Nous sommes allรฉs enquรชter dans nos rayons pour tracer lโorigine de nos produits frais : pas joli-joli… Plus cher, moins bon, le verdict est sans appel, il faut remanger local. Et le plus รฉtonnant, cโest que cโest po-ssi-ble !
La trop longue route de notre alimentation
Du pain mรฉdiรฉval au burger moderne, notre assiette a connu bien des aventures. Ces 50 derniรจres annรฉes, les habitudes alimentaires des Franรงais ont plus รฉvoluรฉ que pendant les cinq siรจcles prรฉcรฉdents. La valeur symbolique attachรฉe aux aliments sโest perdue en chemin et notre raison avec.
Par Catherine Pouligny
Du pain, du vin etโฆ
De la viandeย ! Du Moyen รge au dรฉbut du XXe siรจcle, la trilogie pain, viande et vin forme la base de lโalimentation de lโensemble du monde chrรฉtien, comme le souligne Sylvie Vabre, historienne de lโalimentation, maรฎtre de confรฉrences ร Toulouse II Jean Jaurรจs. Cela a complรจtement conditionnรฉ les systรจmes agricoles qui consacrent la majoritรฉ des terres ร la culture des cรฉrรฉales. Les cรฉrรฉales, cโest la vie, en tous cas la survie assurรฉe. En 1870, on mangeait en moyenne 750 g de pain par jour ร Toulouse (6 fois plus que nous) et 1250 g ร la campagne.
Pour la viande, les statistiques sont rares puisque la volaille et le cochon sont รฉlevรฉs ร la maison, mรชme en ville dรจs que cela est possible. Des brebis, des chรจvres et vaches paissent dans Toulouse, sur les bords de Garonne, jusquโau dรฉbut du XXe siรจcle. Il y avait mรชme des laiteries quai de la Dauradeย ; rien de plus normal puisque le lait ne se conserve pas. Il fallait donc produire cet aliment indispensable aux enfants et aux malades sur son lieu de consommation.
Les lรฉgumes verts nโont pas la cote
Toulouse est une ville ร la campagne, trรจs รฉtendue, mais les potagers dโaujourdโhui nโexistent pas encore. On mange des lรฉgumes secs en quantitรฉ mais les lรฉgumes frais ne sont pas importants car peu nourrissantsย ; ils ont donc peu de valeur. En 1830, les comptes dโun hospice de Toulouse montrent que lโon ne mangeait que 10 kg de lรฉgumes verts par an, en incluant les pommes de terreย ! Nous sommes loin des presque 50 kg que nous consommons aujourdโhui, et ร des annรฉes-lumiรจre des 150 kg que reprรฉsentent les cinq fruits et lรฉgumes quotidiens que lโon nous encourage ร manger. Et si aujourdโhui, les fruits et lรฉgumes peuvent apparaรฎtre comme un luxe, ce nโรฉtait pas le cas en 1830 puisquโร Toulouse toujours, les lรฉgumes verts coรปtaient 10 fois moins queโฆ le pain.
Circuits courts, voyages lointains
Le rรฉseau alimentaire nโa jamais รฉtรฉ fermรฉ et il serait une erreur de croire que les aliments ne circulaient pas dโune rรฉgion ร lโautre, et mรชme dโun pays ร lโautre. Les รฉpices bien sรปr, mais aussi le vin, le fromage. Par exemple, il est traditionnel, dรจs le XVIIIe siรจcle, de mettre du fromage de Gruyรจre au menu des vendangeurs de Bordeaux. Le travail est dur, les hommes ont besoin de ces calories exceptionnelles. Dans la rรฉgion, cโest le roquefort bien sรปr qui sโexporte, et Marseille et Paris en raffolent. Mais, soucieux de marketing avant lโheure, dรจs la fin du XIXe siรจcle, les cรฉlรจbres caves font bien attention de produire des pains de roquefort diffรฉrents pour ces deux villes, qui ne les aiment pas affinรฉs de la mรชme maniรจreโฆ Le roquefort voyage dโailleurs beaucoup plus loin puisquโon le trouve sur les tables de Manhattan avant 1914ย !
Changement de menu
Sur la trame du pain quotidien, la diversification de lโalimentation se fait surtout ร partir du XIXe siรจcle. Le fromage de Hollande, le sucre, le chocolat, le cafรฉ, le Porto, le vin de Madรจre viennent rompre la routine de la soupe et du pain trempรฉ. Des barriques de vin du Languedoc, des fraises de Saint Geniez sont expรฉdiรฉes par chemin de fer dans le nord du pays. Chaque rรฉgion met en valeur ses produits, Dijon sa moutarde et Cambrai ses bonbons.
Et puis la locomotive sโemballe. On connaรฎt la suiteย : la mise en place en 150 ans du marchรฉ mondial de lโalimentation.
Aujourdโhui, un poulet “pousse” en neuf semaines au lieu de six mois. Il arrive de lโautre bout de lโEurope en camion rรฉfrigรฉrรฉ, aprรจs avoir mangรฉ des produits importรฉs sur lโautre hรฉmisphรจre. Il sera avalรฉ debout, dans une barquette, en nuggets. Manger local, forcรฉment plus cher ?
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