Par Anne Mignard
Chaque semaine, cet été, nous nous glissons dans vos valises. Une histoire vraie de surprenantes vacances. Cette fois, Anne nous raconte sa découverte de l’Ukraine. Un périple de trois semaines au cours duquel, la jeune collégienne a vu tous ses repères voler en éclat.
“À l’époque, je n’avais que 12 ans et l’opportunité de faire russe en première langue au collège avait séduit mes parents… Je me suis dit : “drôle d’idée et pourquoi pas ?” Une autre de leurs idées : pourquoi ne pas traverser l’Europe en camping-car pour aller rencontrer ma correspondante ? Nous étions en 1990, et elle habitait en Ukraine. Nous voilà donc partis, mes parents, mon frère et moi, direction Kiev… Plus nous regardions à l’Est sur la carte et plus les informations étaient succinctes. Moins de routes… Moins de villes… Pourquoi ? Mon père m’expliquait très vite qu’il s’agissait d’une ruse des autorités soviétiques pour que les soldats se perdent si l’Ouest décidait un jour d’attaquer l’URSS. Je me souviens avoir pensé : “Ok, nous sommes donc en zone de guerre !” Le douanier de la frontière autrichienne a confirmé mon impression. Mon père n’était pas dans la bonne file de voitures, et les hurlements de l’agent en allemand m’ont facilement remis en mémoire quelques extraits de films sur la Seconde Guerre mondiale. Au bout de trois jours de route, nous sommes arrivés à la frontière ukrainienne. À la présentation des visas, nouvelle surprise : la personne derrière le guichet nous a fait un grand sourire en nous parlant de Paris dans un français parfait… On a alors appris que l’homme en question n’était pourtant jamais allé plus loin que Lviv, à quelques centaines de bornes. C’était ça le socialisme : un enseignement en langue étrangère hors pair à des milliers de kilomètres du pays où la langue était parlée.
Une fois la frontière passée, nouvelle découverte : les Carpates, une montagne aussi verte que les Pyrénées mais aussi déserte que le Sahara… Les seuls véhicules que nous avons croisés étaient des camions. Soudain, l’essence est venue à manquer et pas de station à l’horizon ! Plus le trajet avançait, plus la pression montait dans le véhicule. Heureusement, nous avons fini par apercevoir, un panneau indiquant une pompe à essence. La jauge était dans le rouge, il était temps ! Mais là, au bout d’un chemin, nous n’avons découvert qu’une plateforme en terre battue avec une forte odeur d’essence. Deux voitures mais pas de pompe. Panique à bord ! Trois hommes sont alors sortis de leur véhicule et ont hélé mon père. Comme il ne comprenait pas un mot de russe, j’étais, avec pour seul repère mes deux ans d’enseignement de russe au collège, censée faire la traduction. Dans ces cas-là, rien de mieux que les gestes et l’objet ! L’homme a ouvert le coffre de sa voiture, rempli de jerricanes. Mon père a acquiescé et dit : “des roubles, des dollars?“. L’inconnu a ouvert son portefeuille, il y avait des francs, des marks, des dollars et des lires… mais pas de roubles. C’est ce jour-là que j’ai appris la valeur d’une devise en Union soviétique. Peu importe le change, tout ce qui n’était pas rouble permettait d’acheter presque tout, le rouble lui presque rien. Nous avons donc finalement réussi à faire le plein.
Les quelques jours qui ont suivi ont été vraiment dépaysants. Il me suffisait de me promener dans les rues de Kiev, habillée de mon 501 Levi’s, pour être montrée du doigt. J’avais de l’or sur les fesses ! Avec les jeunes du pays, nous avions le même âge, nous écoutions la même musique et nous avions les mêmes habitudes : passer des heures au téléphone. Et, pour mon plus grand bonheur, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, c’était gratuit ! Une escapade à la campagne m’a aussi appris que l’eau ne pouvait être consommée au robinet. Il fallait la puiser au puit et se faire les bras plusieurs fois par jour. Mes parents, eux, aidaient au champ en maniant la faucille… Quoi de plus normal au pays de Lénine ! C’est cet été-là que j’ai compris qu’il existait une autre planète… Un mur séparait mon monde de celui de ma correspondante… Et elle ne rêvait que d’une chose : vivre comme à l’Ouest.”
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