Apprenti soldat. Ils sont jeunes, parfois vulnérables, la plupart du temps déterminés. Ils ont en commun une décision : Quitter Toulouse pour se rendre au combat aux côtés de leurs « frères » musulmans. Par Aurélie Renne et Séverine Sarrat.
« Il y a eu trois ou quatre arrestations la semaine dernière », souffle un membre de la police qui souhaite garder l’anonymat, « les fiches de surveillance émises par la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure) se multiplient.» Le décor est planté. Ici à Toulouse, la police est sur les dents. Plusieurs hommes sont mobilisés chaque jour pour surveiller de potentiels candidats au départ. Boulevard des Minimes, des équipes, tendues, reçoivent des coups de fil de la préfecture, de l’administration pénitentiaire ou autres associations de quartier pour signaler des comportements « à risques. » « Il faut dire que Toulouse est à deux heures du Maroc, de la Tunisie… », explique notre source. Il est formel : « Des gens qui rentrent du djihad, il y en a partout. »
Criminels ou victimes ?
2 janvier 2014. Dominique Bons, est chez elle à Launaguet lorsqu’elle reçoit un texto lui annonçant la mort de son fils Nicolas, 30 ans. « J’ai rappelé le numéro syrien qui s’affichait et un homme m’a affirmé que mon fils était parti dans un camion bourré d’explosifs. Ils ont foncé dans le tas et sont morts. » Nicolas était parti en Syrie cinq mois plus tôt avec son demi-frère Jean-Daniel, 22 ans, qui a, lui, péri au combat au mois d’août. Ils avaient transité via l’Espagne puis la Turquie. Depuis, Dominique Bons ne cesse de rejouer le film dans sa tête : « Nicolas a toujours ressenti un certain mal-être mais c’était un gamin au parcours somme toute « normal » malgré quelques écarts à l’adolescence… Sa conversion à l’islam m’a choquée mais au début cela lui a beaucoup apporté, il était plus serein. Puis rapidement, il a multiplié les propos radicaux et il s’est mis à refuser les idées différentes de la sienne. » Arrive le départ : « Je pensais qu’il prenait des vacances en Thaïlande. » Et un jour, ce texto. « Aujourd’hui je ne suis sûre de rien. Qu’est-ce qui me prouve qu’il est mort ? Qui emmène nos enfants ? » Dominique Bons est dévastée. Pour Zohra Guerraoui, psychologue, maître de conférences à l’Université du Mirail et spécialiste de l’identité religieuse, les musulmans convertis représentent souvent la frange la plus radicale de l’islam : « Ils sont virulents dans leur pratique de la religion car ils souhaitent avant tout trouver leur place dans un groupe, celui des musulmans. Ils veulent donner la preuve qu’ils sont de bons pratiquants et appliquent les préceptes à la lettre.»
« Le recrutement ? C’est sur internet que ça se passe. Dans les mosquées, ils savent qu’ils sont surveillés » (source policière)
Condamnée à faire un deuil sans certitude, Dominique Bons veut aujourd’hui sensibiliser à ce « drame mondial ». C’est son cheval de bataille. Via l’association qu’elle a créée « Syrien ne bouge agissons » et du site dédié sur lequel elle recueille des témoignages du monde entier. Car son cas n’est pas isolé. Et le phénomène semble bel et bien s’enraciner : « Il y a un engouement réel», explique Maître Agnès Dufetel-Cordier, avocate toulousaine qui défend notamment un jeune de 15 ans, parti en début d’année en Syrie et revenu au bout de trois semaines. Son client, que nous appellerons « K » était «un bon élève, très bien inséré avec beaucoup de copains, sans difficulté particulière, ni éducation religieuse. » C’est justement là que le bât blesse d’après Maître Dufetel-Cordier : « C’est une donnée transversale dans les dossiers : une personne sans éducation religieuse est plus malléable et particulièrement sensible aux prêches, notamment sur internet… » « K » a quitté la France avec un ami musulman croyant mais non pratiquant, ils se sont « auto-enrôlés » via internet. « Les jeunes ont accès facilement à des vidéos de torture de civils, etc… Rapidement ils ont envie de devenir des justiciers. »
« Il s’agit du même processus de recrutement que celui des sectes » (Zohra Guerraoui)
Si la plupart des témoignages corrobore un cyber-djihad, d’autres vecteurs de radicalisation existent. Ainsi le milieu pénitencier reste largement surveillé même si, d’après un membre du personnel évoluant dans une prison de la région, « la religion est très encadrée dans l’environnement carcéral. » En général, quand un religieux officie à l’intérieur d’une prison, il n’y a pas de problème, car il parvient à contenir et guider les détenus », ajoute notre source. C’est précisément lorsqu’un aumônier quitte ses fonctions, créant une vacance, que «certains détenus s’autoproclament imam de la prison et imposent une pratique radicale de la religion. Les « proies faciles » -les plus vulnérables- sont rapidement repérées », constate le travailleur pénitentiaire. « On observe alors des changements physiques ou de comportement chez certains prisonniers», confirme notre source interne. Ces détenus souvent « psychologiquement instables » ne sont pas nécessairement de confession musulmane mais finissent par se convertir. Toutefois, ils ne le font pas à l’intérieur du centre de détention et attendent généralement leur libération pour embrasser l’islam, qu’ils pratiquent alors de façon radicale.
Enfants perdus, jeunesse obscure et parcours désordonnés sont autant d’itinéraires qui assoient aujourd’hui la puissance des radicalisations religieuses. Convaincus de partir à l’aventure au nom d’Allah, ils y laissent pourtant souvent la vie.
Les adolescents : Une cible privilégiée
Les jeunes adultes constituent une population vulnérable et particulièrement ciblée par les islamistes radicaux. Pour Zohra Guerraoui, la première faille exploitée pour les embrigader est celle de la perte de repères. « Ces jeunes sont souvent issus de familles qui ont des difficultés à les accompagner dans le processus de personnalisation », souligne-t-elle. A un âge où les adolescents se positionnent par nature dans l’opposition, leur entourage familial défaillant ne les sécurise plus. Leur environnement social serait également une des causes d’une vulnérabilité particulière : « La société leur renvoie continuellement une image négative d’eux-mêmes. Ils finissent par intérioriser l’image que les autres leur imposent », précise la psychologue. Les islamistes radicaux s’engouffrent dans ces failles en introduisant un aspect positif, en valorisant ces jeunes en manque de reconnaissance : « Ils leur confirment qu’ils n’ont pas leur place dans la société qui les méprise et leur offrent l’appartenance à un groupe. » Mener des actions radicales contribue alors à leur besoin d’exister, « d’être quelqu’un. »
L’interview de David Thomson
Journaliste RFI auteur de « Les Français djihadistes » (ed. Les Arènes)
Comment ces Français sont-ils recrutés ?
Aujourd’hui on parle « d’auto recrutement », c’est-à-dire que les candidats au départ découvrent l’islam djihadiste via internet et les réseaux sociaux. On est sur du cyber-djihad.
On ne parle donc plus de filières ?
Les premiers partis en 2012 ont utilisé les réseaux sociaux pour faire venir les copains. Résultat en 2013 : On se retrouve avec des départs exponentiels. Les filières se réorganisent, mais il n’y a toujours pas de recrutement dans les mosquées françaises.
Le phénomène est-il présent partout ?
Toutes les villes sont concernées en France, même s’il ne faut pas nier certaines particularités locales à Toulouse, Nice et Paris. Il y a historiquement une communauté djihadiste importante à Toulouse et elle n’a pas disparu.
Y-a-t-il un profil type ?
Aujourd’hui la réalité évolue et le djihad ratisse plus large : Ce sont toujours des jeunes entre 17 et 30 ans qui ont quasi tous fait, soit un retour vers l’islam, soit une conversion, mais ils viennent souvent de milieux structurés et sont bien intégrés.
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