Alors que demain, les dรฉputรฉs europรฉens votent ร nouveau sur les droits dโauteur, la presse รฉcrite se mobilise pour les dรฉfendre face aux Gafa.
Voici une lettre signรฉe par Franz-Olivier Giesbert, directeur de la rรฉdaction de La Provence, co-signรฉe par la plupart des rรฉdacteurs en chef de la presse quotidienne rรฉgionale et dรฉpartementale, ainsi que par les membres du JT. Tous animรฉs de la volontรฉ “dโinformer les citoyens dans des conditions รฉconomiques adaptรฉes et plus justes.”
Le 5 juillet dernier, le Parlement europรฉen manquait une occasion inรฉdite dโassurer ร ses citoyens un accรจs durable ร une information de qualitรฉ, fiable et pluraliste. En ces temps troublรฉs de multiplication des ยซย fake newsย ยป et de manipulations de lโinformation, chacun conviendra que lโidรฉe nโaurait pourtant pas รฉtรฉ mauvaise.
En rejetant la proposition de directive relative au droit dโauteur examinรฉe depuis des mois au sein des diverses instances de lโUnion europรฉenne, la majoritรฉ des dรฉputรฉs europรฉens a donnรฉ sa bรฉnรฉdiction ร une opรฉration massive de pillage : lโexploitation par les GAFA et autres plateformes, sans aucune contrepartie, de lโinformation produite par des milliers de journalistes professionnels.
Le ยซย droit voisinย ยป, que la directive proposait dโintroduire dans les lรฉgislations nationales et europรฉenne, devait poser les fondations dโune juste rรฉmunรฉration des journaux pour lโinformation quโils produisent chaque jour. Car si aucun producteur de farine ne se pose la question de payer son blรฉ, les leaders mondiaux du web sโapprovisionnent, eux, en contenus pour dรฉvelopper leurs services, sans aucune rรฉtribution pour leurs producteurs.
Or, informer les Franรงais et les Europรฉens est un mรฉtier aussi capital quโexigeant. Et si lโinformation de proximitรฉ nโa pas de prix, elle a un coรปt.
Les quelques 6 000 journalistes locaux qui, chaque jour, sillonnent les routes de lโhexagone pour aller ร la rencontre des Franรงais, des รฉlus et de tous les acteurs de notre quotidien en tรฉmoignent. 365 jours par an, ce travail de dentelle, de contact, dโรฉcoute et dโinvestigation, rรฉalisรฉ tant dans les zones les plus reculรฉes que dans les mรฉtropoles, alimente lโensemble des mรฉdias du pays.
Informer les lecteurs sur les รฉvolutions en cours ou ร venir dans leurs territoires, rapporter les dรฉbats de leur conseil municipal, mettre en lumiรจre les initiatives et les exploits du quotidien autant que les dรฉrives, valoriser lโaction des associations, cโest informer la France sur elle-mรชme.
Cโest รฉgalement, pour les journaux, consacrer dโimportants moyens humains et financiers pour assurer une rรฉelle prรฉsence des rรฉdactions sur le terrain, lร oรน se dรฉroule lโactualitรฉ et oรน vit le pays. Mais aussi pour garantir ร leurs lecteurs le niveau dโexigence professionnelle quโils rรฉclament โ ร juste titre.
Il nโest un secret pour personne que la presse traverse depuis plusieurs annรฉes une profonde crise de son modรจle. Cette situation se caractรฉrise pourtant par un paradoxe qui, lui, est beaucoup plus mรฉconnuย : alors quโils nโont jamais eu autant de lecteurs โ 26 millions de Franรงais lisent chaque jour la presse rรฉgionale -, les journaux sont confrontรฉs ร des difficultรฉs รฉconomiques dโune ampleur nouvelle.
A lโรฉvidence, lโexploitation massive et gratuite des informations quโelle produit par quelques gรฉants du numรฉrique ne facilite pas la survie dโune presse de qualitรฉ, pour ne pas dire quโelle la condamne. Le lobbying effrรฉnรฉ et inรฉdit menรฉ ces derniers mois par ces mรชmes acteurs auprรจs des parlementaires europรฉens est en soi un aveu. Ce faisant, ils reconnaissent, autant que les quelques 26 millions de Franรงais qui les lisent, la qualitรฉ et lโintรฉrรชt des informations diffusรฉes par les journaux locaux. A une diffรฉrence prรจsย : ils ne la paient pas et se prรฉtendent les dรฉfenseurs de la libertรฉ dโaccรจs ร lโinformation sur le web. Encore faut-il que lโinformation existe pour y accรฉder.
Le 12 septembre, les eurodรฉputรฉs auront une nouvelle, et derniรจre, occasion de redonner les moyens ร toutes les rรฉdactions europรฉennes dโinformer les citoyens dans des conditions รฉconomiques adaptรฉes et plus justes. Espรฉrons quโau moment du choix, les bienfaits de la dรฉmocratie et de lโun de ses symboles โ le journalisme – nโรฉchappent pas ร nos รฉlus.
Franz-Olivier Giesberg, directeur de la rรฉdaction de La Provence
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