Suite à la perte de la vision de son œil droit, Julien M. a bénéficié d’une greffe de cornée artificielle en novembre dernier, au CHU de Montpellier. Une première en Europe. Après 15 années passées dans le flou, il aperçoit aujourd’hui le bout du tunnel. Portrait.
Plus jeune, Julien M. ne savait pas vraiment ce qu’il voulait faire de sa vie. Natif des Landes, il cumulait les petits boulots sur la côte atlantique. Il s’est engagé durant une saison d’été, à l’âge de 23 ans, en tant qu’éboueur. Là, sa vie a basculé en une fraction de seconde. « J’ai reçu une projection dans l’œil droit », explique simplement le trentenaire. Cette blessure a provoqué l’apparition d’une kératite (érosion de la cornée). Puis, une succession d’inflammations, causées par un herpès, a dégradé progressivement sa vue.
Pendant 15 ans, Julien M. a enchaîné les rendez-vous ophtalmologiques. « Les médecins ont tenté de canaliser le problème. Mais je savais que ça ne se soignerait pas », avoue-t-il, la voix tremblante.
Après avoir tenté un dernier traitement par laser en 2019, il a totalement perdu la vue de l’œil droit et, dans un même temps, la notion de distance et de relief. « Quand je me servais un verre d’eau par exemple, j’en renversais toujours à côté », se souvient-il. « Je l’ai vu triste », avoue Nathalie, sa compagne, « mais il n’était pas résigné. D’ailleurs, il ne l’a jamais été ».
Un mois plus tard, Julien M. visionnait un reportage traitant d’une méthode israélienne, qui consiste à remplacer une cornée abîmée par une prothèse artificielle. « J’ai rapidement noté le nom de l’entreprise. Puis je leur ai envoyé un courrier ». CorNeat Vision lui a répondu le lendemain, en lui indiquant le nom d’un médecin montpelliérain, qui pratiquait l’opération : le professeur Vincent Daien, chef du service d’ophtalmologie du CHU de la ville héraultaise.
« Je n’avais plus rien à perdre »
Pendant des jours, Julien M. s’est documenté. « Il connaissait le sujet par cœur », explique fièrement sa compagne. « J’ai lu tout ce qui était accessible sur ces essais cliniques », ajoute-il. Dès le premier rendez-vous, il a su convaincre le professeur de tenter l’intervention. « L’espoir est revenu, les sourires aussi », poursuit doucement Nathalie. Il s’est lancé, sans crainte. « Je n’avais plus rien à perdre », soutient le jeune homme.
La greffe de la cornée artificielle s’est ainsi déroulée le 10 novembre dernier, au CHU de Montpellier. C’était la cinquième intervention de ce type dans le monde. La première en Europe. À la sortie de l’hôpital, sa vision de l’œil droit atteignait 10/10. « Je l’ai vécu comme une renaissance. J’avais l’impression de sortir la tête de l’eau et de pouvoir respirer à nouveau, enfin », témoigne Julien M.
Il se souvient même que, quelques jours plus tard, dans le bureau du professeur, il a réussi à attraper une boîte de mouchoirs. Un geste banal, qui pourtant résonne comme un exploit. « Le docteur m’a demandé ce que je faisais. Je lui ai répondu : “Ça y est, je la vois en relief !” », raconte-t-il, encore ému.
Le professeur Daien a ainsi permis à Julien M. d’entrevoir un avenir ”plus net” après avoir vécu dans le flou pendant 15 ans. « Je vois. Il y a encore un léger brouillard, mais je vois. Tout devient beau », lance alors son patient. Depuis, le trentenaire communique chaque jour avec son médecin. Il possède une certaine admiration pour lui. « Nous avons tissé un vrai lien. C’est quelqu’un de formidable. Il a toute ma confiance », confie le jeune Landais.
Aujourd’hui, Julien M. sort encore de chez lui avec des lunettes noires spéciales pour éviter que les rayons du soleil ne lui brûlent la rétine. « Elle n’a pas vu d’UV depuis des années », sourit-il : « Il faut lui laisser le temps de s’adapter ». Il reste prudent, car son état peut se dégrader rapidement. C’est d’ailleurs ce que son entourage a du mal à comprendre parfois. « Ce n’est pas parce que je me suis fait opérer que je suis guéri », explique le trentenaire qui doit encore rester au repos au minimum deux mois.
« Je vois ! J’aperçois les formes, les couleurs ! »
Pendant longtemps, certaines choses n’ont plus été possibles. Comme le paddle, à cause de la réverbération du soleil sur l’eau. Ou encore le VTT par manque d’appréhension des reliefs. « L’été dernier, je ne suis presque pas sorti », avoue difficilement le jeune homme. « Julien manquait des barbecues avec nos amis, ne venait plus à la plage », ajoute sa compagne.
Aujourd’hui tout a changé. « Notre quotidien se compose de petites joies », sourit Nathalie. Le professeur Daien, aussi, est confiant. Il l’a même autorisé à reprendre une activité physique. Alors, Julien M. attend une journée nuageuse pour sortir son vélo du garage.
Il arrive à lire, aussi. Son œil cicatrise bien, même s’il est encore un peu rouge. Il peut l’ouvrir dans le noir, ou quand il fait sombre. « Là, je vois qu’il y a quelques lampadaires allumés », dit-il le regard tourné vers la rue : « J’aperçois les formes, les couleurs », décrit-il, un sentiment de victoire aux lèvres.
« Je vis des moments fabuleux. Mais certains sont encore difficiles », avoue Julien M.. Les journées sont longues. Il ne peut pas regarder la télévision, ni sortir quand la luminosité est trop forte. Heureusement, sa profession lui permet d’adapter son emploi du temps à ses contraintes de santé. Depuis quatre ans, il achète et rénove seul des maisons avant de les revendre. D’ailleurs, il est en pleine négociation pour en acquérir une nouvelle. « Julien est un éternel optimiste, c’est un battant. Il ne perd jamais espoir », explique sa compagne.
Le saut en parachute ? La plongée ? « Cela risquerait d’abîmer ma cornée ». Mais tout en restant prudent, il se surprend à rêver. Non pas d’expériences extraordinaires, mais simplement de rouler à vélo sous les pins. « Je vais faire tout ce que je n’ai pas pu faire. Mais surtout, refaire tout ce que je ne pouvais plus faire », poursuit le Landais. Prendre sa planche et se jeter dans l’océan, faire du quad, du ski… Ou bien partir en vacances dans les îles. « Le plaisir sera décuplé », assure-t-il.
Commentaires