Il est des professions plus difficiles à assumer que d’autres. Certaines sont socialement mal acceptées, d’autres simplement inenvisageables pour la plupart d’entre nous. Contrôleur des impôts, fossoyeur, huissier, nettoyeur de scènes de crimes… Bastien Lagoda, lui, est technicien sur le réseau assainissement de Toulouse, autrement dit il travaille à l’entretien des réseaux des eaux pluviales et des eaux usées. Une profession d’intérêt public dont il est fier. Portrait.
Il connaît les 5 000 kilomètres du réseau d’eaux pluviales et d’eaux usées de la métropole toulousaine sur le bout des doigts. S’il lui arrive de se perdre dans les rues de la Ville rose, ses sous-sols n’ont aucun secret pour lui. Et pour cause, Bastien Lagoda est technicien sur le réseau assainissement de Toulouse. Plus précisément, il est coordinateur et gère, à juste 25 ans, une quinzaine d’hommes qui interviennent, en urgence la plupart du temps, sur les réseaux d’eau de la ville et des 37 communes de la métropole. Appelé dans 90% des cas pour pratiquer des désobstructions, il est chargé d’identifier le problème, de trouver la manière la plus appropriée de le résoudre, et d’organiser l’intervention. « C’est ce que nous sommes en train de faire lorsque vous voyez un camion d’où sort un gros tuyau qui s’engouffre dans une plaque d’égout ou raccordé à un bâtiment », explique-t-il.
Et, en période de vacances scolaires ou par temps très pluvieux, Bastien Lagoda et ses équipes peuvent réaliser jusqu’à 15 interventions par jour. Ces dernières sont aussi nombreuses que variées : Il peut s’agir de débordements d’eaux usées, des émanations d’odeurs, des inondations de caves, des canalisations rompues, des objets perdus dans un avaloir (bouche d’égout située au niveau des caniveaux) ou même, des animaux coincés. « J’ai moi-même sauvé deux chats », se remémore-t-il amusé. Mieux, « nous avons retrouvé un sextoy dans un avaloir », rajoute le technicien en riant.
« Nous avons retrouvé un sextoy dans un avaloir »
Mais s’il se souvient des moments cocasses, il se rappelle également de ceux les plus pénibles : « C’était le 10 janvier 2022 », lance-t-il avec précision, « la Garonne connaissait la crue la plus importante observée depuis 20 ans. Nous étions en alerte constante et avons réalisé 19 interventions en urgence, et ce en une seule après-midi ! » En réalité, les équipes de Bastien Lagoda ont été mobilisées sans arrêt pendant une semaine pour réaliser des opérations presque chirurgicales : « Nous avons posé cinq “bypass” pour dévier le réseau et ainsi “shunter” une canalisation. » Un vocabulaire médical qui traduit un travail technique, laborieux et stressant.
C’est d’ailleurs ce dernier aspect du métier qui le rend parfois difficile. Contrairement aux idées reçues, le plus dur à supporter n’est pas l’odeur, « à laquelle on s’habitue vite finalement », mais bien le stress. D’abord, et surtout, celui dû à la gestion de la circulation lors des interventions. En effet, ces dernières ont lieu la plupart du temps sur la voix publique, sur laquelle les techniciens ne sont protégés des véhicules que par des plots en plastique. Et « il n’est pas rare que les automobilistes agacés d’avoir dû attendre, trop peu attentionnés, nous insultent ou ignorent la signalétique, nous mettant ainsi, mes collègues et moi, en danger », se plaint Bastien Lagoda, qui rappelle le caractère critique de ses opérations.
« Si je me rate, ils peuvent littéralement se retrouver… dans la merde ! »
Car, lorsque Bastien Lagoda est appelé à intervenir sur le réseau, c’est en urgence la plupart du temps : « Je dois agir le plus rapidement possible et je n’ai pas droit à l’erreur. Les conséquences peuvent être désastreuses pour les structures ou les usagers », précise-t-il. « Si je me rate, ils peuvent littéralement se retrouver… dans la merde ! » ajoute le technicien. Ou alors, c’est le contraire, « je les en sors ! » Comme ce couple qui a vu sa maison inondée par des eaux usées suite à un dysfonctionnement sur le réseau. « Ils étaient désespérés et nous ont accueillis comme des sauveurs », raconte-t-il.
Et le plus souvent, c’est ainsi que Bastien Lagoda est considéré. « C’est gratifiant. Les gens qui nous voient travailler comprennent à quel point notre métier est exigeant. Ils nous remercie et ont conscience que nous sommes indispensables au bon fonctionnement de leur système d’assainissement et de leur consommation d’eau potable. Surtout, depuis la crise sanitaire due à la Covid-19 », témoigne-t-il. Exit le cliché de l’égoutier qui descend dans les canalisations, qui patauge dans les eaux usées et charrie avec lui des odeurs nauséabondes. Il est pourtant résistant dans l’inconscient collectif. « Mais uniquement dans la tête de ceux qui ne savent pas de quoi ils parlent, car, en réalité, nous ne nous rendons dans les égouts que très rarement (une dizaine de fois par an, NDLR) », explique le technicien. Une tâche maintenant réservée à des drones ou des machines spécialisées.
Si l’entretien des réseaux d’eaux pluviales et usées peut en rebuter plus d’un, Bastien Lagoda a choisi d’en faire son métier. « Et je suis fier aujourd’hui de penser que si les Toulousains ont accès à une eau potable de bonne qualité et un assainissement fonctionnel, c’est en partie grâce à mon travail et celui de mes équipes. Ma profession est d’intérêt public », affirme-t-il. Un constat d’autant plus assuré qu’il a lui-même observé les conséquences sur une société lorsque ces services sont inexistants. « J’en ai réellement pris la mesure lors de mon séjour en Inde. J’y ai réalisé un stage de deux mois, en 2016, aux côtés d’une ONG. Là-bas, pas de tout-à-l’égout généralisé, très peu de stations d’épuration… Résultat ? Une pollution et des épidémies hallucinantes », confirme-t-il.
Un métier qui a donc du sens pour le technicien et qui, en outre, répond aux préoccupations écologiques de gestion des ressources auxquelles il est sensible. Un intérêt qui a orienté sa formation puisqu’après avoir obtenu un Bac Sciences et technologies de laboratoire, il a passé un BTS Gestion et maîtrise de l’eau en Lozère. Et c’est en cherchant du travail que ce Narbonnais d’origine trouve l’opportunité d’intégrer le service assainissement de la compagnie des eaux de Toulouse métropole. S’il concède que cette spécialisation s’est dessinée par défaut, « c’est finalement beaucoup plus complexe que l’eau potable, et donc plus intéressant ! » Car même si la nature des interventions est presque toujours la même, les situations sont toujours différentes. Pas de routine ! « Je me rappelle notamment d’une désobstruction particulièrement compliquée à Blagnac. Quelqu’un avait déversé une demi-toupie de béton dans un regard. Un dépôt sauvage qui m’a valu trois semaines de réflexion et de travail sur le terrain pour en venir à bout », décrit-il.
Des gestes dont les auteurs, qui sont eux-mêmes usagers, ne mesurent pas les conséquences. Et à qui Bastien Lagoda adresse une ultime requête : « S’il vous plaît, arrêtez de jeter des lingettes et de déverser de la graisse dans vos toilettes ou éviers. Cela représente 70% des bouchons que nous devons traiter ! »
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