La hausse sans précédent du prix de l’électricité depuis 2022 inquiète tous les usagers. Pour alléger les factures, le gouvernement a mis en place plusieurs dispositifs. Les particuliers peuvent bénéficier du tarif règlementé, base de calcul pour le “bouclier tarifaire”. Quant aux collectivités et aux petites entreprises, elles peuvent prétendre à “l’amortisseur électricité”. Cependant, l’évolution des modalités de ce dernier inquiète les élus locaux. Thierry Suaud, maire de Portet-sur-Garonne, et président du Syndicat départemental d’énergie de la Haute-Garonne (Sdehg) nous explique pourquoi. Interview.
Thierry Suaud, quelles ont été les conséquences de l’augmentation des prix de l’électricité sur les budgets des collectivités et des petites entreprises ?
Les prix de l’électricité ont flambé entre juin et décembre 2022, dans un contexte tendu de guerre en Ukraine et de reprise asiatique post-Covid. En effet, la Chine, et l’Asie de manière générale, consomment beaucoup de gaz. En Europe, le prix de l’électricité étant indexé sur celui du gaz, nous avons assisté à une envolée des tarifs. En 2023, les prix se sont tassés progressivement, mais beaucoup de collectivités et de petites d’entreprises étaient encore sur des contrats négociés l’année précédente, soit au moment où les prix étaient les plus élevés. Ces contrats durant généralement de un à trois ans, l’augmentation des prix est encore loin d’être un souvenir, même en 2024.
Pour donner un ordre d’idée : en 2021, nous étions sur des prix parfois inférieurs à 100€ le mégawattheure. En 2022, on est arrivé à des contrats à 300, 500 ou 600€ le MWh. Nous avons été confrontés à des prix complètement fous ! S’il est difficile de sortir un montant moyen des factures actuelles, parce que dans un même contrat, il peut y avoir une multitude de prix différents en fonction de la puissance d’abonnement, de l’usage qui est fait de l’électricité (l’éclairage public par exemple est soumis au tarif de nuit), nous pouvons cependant dégager une tendance générale. Ainsi, les collectivités et petites entreprises les plus chanceuses ont observé une multiplication par 2 ou 3 du prix de l’énergie, mais certaines ont enregistré des multiplications par 5 ou 6 et des sociétés ont même mis la clé sous la porte.
« Les prix ne reviendront pas au niveau de ceux observés avant 2022 »
Où en est-on en ce début d’année 2024 ?
Fin 2023, nous projetions les prix aux alentours de 130 euros le MWh sur le marché 2024. C’est 4 à 5 fois moins que les prix connus un an plus tôt. Il y a donc une tendance à la baisse, clairement. Cependant, les prix ne reviendront pas au niveau de ceux observés avant 2022.
Conscient de cette réalité pour les collectivités de plus de 2 millions d’euros de budget et les petites entreprises de plus de 10 salariés, l’État a mis en place un amortisseur électricité en 2023, pour absorber une part du surcoût. Quelles en étaient les modalités ?
L’amortisseur 2023 se déclenchait à 180€ le MWh et le plafond était fixé à 500€/MWh. Il épongeait 50% du surcoût. Ainsi, si une collectivité ou une entreprise disposait d’un contrat à 300€/MWh par exemple, la moitié du surcoût (soit 60€) était pris en charge, ce qui ramenait la facture à 240€/MWh.
Celui-ci a pris fin au 31 décembre 2023. L’État a annoncé la reconduction de l’amortisseur électricité, mais pas aux mêmes conditions. Qu’est-ce qui change ?
Cette année, l’amortisseur se déclenche à 250€/MWh et prend en charge 75% du surcoût. Mais, si l’on garde l’exemple d’une facture à 300€/MWh, qui pouvait être ramenée à 240€ en 2023, elle ne sera plus ramenée qu’à 262€/MWh en 2024. Le seuil de déclenchement ayant augmenté, le surcoût n’est alors plus que de 50€. Et même si l’État prend 75% de cette somme à sa charge, on ne parle plus que de 37,50€. Au final, pour le même contrat, une commune ou une entreprise va subir une hausse du prix de l’énergie entre 2023 et 2024. Autant vous dire que l’amortisseur électricité 2024 ne rassure pas les collectivités.
« Pour le même contrat, une commune ou une entreprise va subir une hausse du prix de l’énergie entre 2023 et 2024 »
Ainsi, l’amortisseur électricité 2024 sera moins avantageux que le précédent ?
Les communes et entreprises ayant conclu au cours de la période de crise énergétique des contrats entre 180 et 300€/MWh, prix qui restent scandaleux, seront effectivement perdantes. L’amortisseur 2024 ne sera efficace que pour celles qui subissent des prix démesurés, le dispositif n’étant plus plafonné. Certains estiment que “c’est toujours mieux que rien”, certes ! Mais, rappelons que pendant la crise, des méga profits ont été générés au vu des marchés qui sont passés de 100€/MWh à 300 et plus. Cet argent est bien allé quelque part ! Je pense qu’il pourrait servir à mettre en place des amortisseurs plus favorables.
Outre, un amortisseur plus favorable, que demandez-vous aujourd’hui au gouvernement pour lutter contre ces prix exorbitants ?
Le Sdehg appelle le gouvernement à permettre aux collectivités et entreprises, par une décision législative, de résilier sans frais les contrats se trouvant à des tarifs trop éloignés du prix projeté pour le marché 2024, soit 130€/MWh. Je sais bien que ce n’est pas du tout la doctrine des producteurs et fournisseurs d’énergie, mais ces derniers ont gagné beaucoup d’argent en 2022, ils devraient donc être contraints de faire un effort. Effort qui, je pense, serait facilement absorbable par ces entreprises au vu des dizaines de milliards d’euros de profits qu’ils ont générés durant la crise en pratiquant des prix au-delà du raisonnable… J’estime que cette proposition est donc crédible… même si elle n’est pas forcément souhaitée par le gouvernement.
« L’autoconsommation permettra de sortir de la dépendance aux fournisseurs d’énergie »
Au-delà des sollicitations du gouvernement, quelles sont les actions du Sdehg pour aider les collectivités ?
Il faut tirer les leçons de cette crise de l’énergie, et réagir sur le fond, sur l’utilisation et l’usage de l’électricité. Ainsi, nous incitons d’abord les communes à la sobriété pour réaliser des économies d’énergie. Nous avons également mis en place un programme, qui permettra, à l’horizon 2027, de remplacer tous les éclairages des collectivités adhérentes au Sdehg par des LED. Soit 80% d’économie d’énergie. Financièrement, on parle de 30 à 35% d’économie budgétaire, travaux compris.
Dans un même temps, nous avons déployé un programme d’ombrières photovoltaïques en autoconsommation, qui permettra de sortir de la dépendance aux fournisseurs d’énergie. Il pourra même permettre de générer des revenus supplémentaires grâce à la revente de l’électricité produite en surplus. Un premier marché de 16 ombrières sur parking pour alimenter des bâtiments communaux est en cours.
Pour finir, nous sommes en train de créer une Société d’économie mixte (SEM), avec le soutien actif du Département de Haute-Garonne, pour développer des projets d’énergies renouvelables à gouvernance locale. Ainsi, la richesse produite sur le territoire bénéficiera au territoire, la SEM se chargeant de redistribuer cette richesse aux communes actionnaires des projets.
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