Il est des professions plus difficiles à assumer que d’autres. Certaines sont socialement mal acceptées, d’autres simplement inenvisageables pour la plupart d’entre nous. Contrôleur des impôts, fossoyeur, huissier, égoutier… Anthony Briglia, lui, est thanatopracteur dans le Tarn-et-Garonne. Une profession dans laquelle il trouve un sens. Portrait.
Allongée, bien apprêtée, cette grand-mère, bien que décédée, paraît sereine, comme endormie, prête pour une rencontre qui lui tient à cœur. Cette sensation, c’est à Anthony Briglia que sa famille la doit. A 25 ans, ce Toulousain officie depuis trois années en tant que thanatopracteur. Un terme barbare pour désigner celui qui pratique les soins de conservation et de présentation sur les défunts. “Mon métier consiste à les rendre plus paisibles, à gommer les traces d’un accident ou simplement à permettre aux proches de pouvoir les regarder une dernière fois pour leur dire au revoir”, explique-t-il pragmatiquement.
Une profession qui peut sembler austère à première vue mais que le jeune homme a appréhendée naturellement et qui, aujourd’hui, contribue à son épanouissement. Peut-être parce que chez les Briglia, on est thanatopracteur de mère en fils. C’est même celle-ci qui lui a transmis son intérêt pour l’embaumement. “Si elle n’avait pas exercé ce métier, je n’y aurais jamais songé de moi-même”, avoue-t-il. Et pour cause, il s’est d’abord lancé dans des études d’informatique à l’université Paul-Sabatier de Toulouse. Comme nombre de ses camarades, il lui a fallu trouver un job étudiant. Et ce n’est pas vers les traditionnels fast-foods ou caisses de supermarchés qu’il s’est tourné. “J’ai travaillé dans les pompes funèbres, en tant que porteur et agent funéraire. Et c’est là que j’ai commencé à accompagner ma mère, pour voir ce qu’elle faisait“, se souvient-il.
” Un métier super intéressant”
Loin de l’épouvanter, la thanatopraxie lui plaît, au point qu’il met un terme à ses études d’informatique pour préparer son diplôme au CHU d’Angers, sur les traces de sa mère. La majorité de ses compagnons de “promo” sont issus de cursus médicaux. Lui évoque la découverte d’un métier qu’il trouve “super intéressant”. Il y apprend l’anatomie, la législation, la psychologie du deuil et passe rapidement à la pratique.
Aujourd’hui, salarié d’une entreprise de thanatopraxie, il exerce sur les secteurs de Cahors, Agen et Toulouse. Comme il le raconte, “mon travail consiste à faire de la route la moitié du temps. Toutes mes journées débutent ainsi”. Des déplacements qui font donc partie intégrante de sa profession et qui lui plaisent: “J’aime bouger, et être autonome. De plus, je suis d’un naturel solitaire, donc cela ne me pèse pas au contraire. Je n’ai pas de chef quotidiennement derrière moi et ça, ça n’a pas de prix.”
Il n’est en relation qu’avec un régulateur qui lui relaie les commandes émises par les agences de pompes funèbres. Une fois sur place, il recueille la volonté des familles quant aux soins à administrer au défunt, par l’intermédiaire d’un conseiller funéraire. “Ensuite, je fais mon œuvre. Ca dure environ une heure et demi, et je repars“, résume Anthony Briglia. Au total, il réalise six soins par jour en moyenne, soit une cinquantaine par mois.
Des soins sur les défunts qui ne sont pas obligatoires mais qui sont demandés par 75% des familles. Il s’agit de toilettes mortuaires, de soins de conservation, réalisés au formol, et/ou de présentation, comme l’habillage, le maquillage, la coiffure… “Une pratique qui permet au corps de ne pas se dégrader durant six à huit jours”, précise le thanatopracteur, “et qui permet donc aux proches de se recueillir auprès du disparu une dernière fois.
Un instant chargé en émotion auquel Anthony Briglia n’assiste pas généralement. Mais si, sur le départ, il lui arrive d’entendre : “On dirait que mamie dort!”, il sait alors que sa mission est accomplie. Des retours indirects qu’il vit telle une reconnaissance. “Lorsque je travaille sur un accidenté, se sentiment est d’autant plus intense”, décrit-il. Effacer toutes traces de traumatisme, et rendre paisible une personne dont le visage a été abimé par les circonstances de la mort, reste parfois une réelle prouesse. “Mais c’est justement là que je me sens le plus utile. Mon travail a du sens”, témoigne le jeune homme. Certains le qualifient même d’artiste.
Pourtant, Anthony Briglia est le premier à évoquer le paradoxe de sa profession: “Pour faciliter le deuil, nous tentons de faire passer une personne décédée pour quelqu’un qui dort“, commente-t-il. Et de poursuivre: “Dans nos sociétés, la mort est un véritable tabou. Et mon métier l’entretient.” D’ailleurs, généralement, quand il explique ce en quoi consiste son métier, il est rapidement coupé. “Si la majorité respecte, la plupart des gens ne veulent pas de détails, ça les dégoute“, rapporte le thanatopracteur, qui comprend aisément pourquoi.
Au début de sa jeune carrière, lui aussi avait de l’appréhension: “Entre les odeurs, la vue des selles, du sang ou des blessures, c’est vraiment pas évidemment”, précise-t-il. Et puis, “on passe en mode professionnel, et on oublie tout. C’est l’affaire de cinq minutes en réalité.” Et s’il ne savait pas très bien comment présenter les choses, c’est désormais moins gênant. “Je réponds simplement aux questions des plus curieux, sinon, je reste synthétique”, déclare-t-il. Ce qui reste un effort pour le praticien, animé d’une réelle passion pour son métier. “Il fût un temps où j’en parlais souvent, ce que m’ont fait remarquer mes amis”, admet Anthony Briglia. Alors, c’est avec ses collègues qu’il s’épanche.
En premier lieu, pour relâcher la pression. Celle qui surgit quand il pense aux siens, lors d’un soin. Celle qui s’immisce quand il officie sur un nourrisson : “Ce devrait être les interventions les plus rapides car il n’y a pas grand-chose à faire, mais ce sont souvent les plus longues parce que la charge mentale est importante. D’ailleurs, je me rappellerai toujours des trois bébés qui sont passés entre mes mains. Ça m’a beaucoup marqué!” Il est alors nécessaire de pouvoir se confier à des gens qui comprennent, à qui il n’est nul besoin d’expliquer, auprès desquels quelques mots suffisent pour soulager sa conscience.
“Je me rappellerai toujours des trois bébés qui sont passés entre mes mains. Ça m’a beaucoup marqué! “
Mais avec le temps, la tristesse et l’émotion s’atténuent. “On s’endurcit. On se détache. On se protège”, résume le jeune thanatopracteur, qui parvient maintenant à laisser sa vie professionnelle sur le perron : “Quand je rentre chez moi, c’est fini, je ne pense plus à mon travail, mais cela m’a pris du temps. Au début, je ressassais ma journée, me demandais si les soins allaient tenir.”
En second lieu, pour les conditions d’exercice de son métier. Comme tout un chacun, il est bien plus agréable d’aller travailler dans une bonne ambiance. D’autant plus, lorsque l’on côtoie des défunts toute la journée. “Cela aide à dédramatiser”, confesse-t-il. Un besoin nécessaire qu’il partage de bon cœur avec ses collègues des pompes funèbres: “On rigole beaucoup, de tout, et même de la mort.” Un humour souvent noir, mais dont le sujet n’est jamais la personne décédée.
Avec seulement trois années d’expérience, Anthony Briglia est déjà aguerri. Cela est relativement rapide dans le métier, semble-t-il. D’ailleurs, selon les statistiques, “on est thanatopracteur 10 ans, ou on l’est toute sa vie”, précise-t-il. Pour l’heure, lui se sent résolument bien dans sa blouse bleue, même s’il s’imagine à l’international, réalisant ses interventions sur des défunts français, décédés à l’étranger, avant rapatriement. “Mais pour cela, il me faudra beaucoup plus d’expérience…”
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