Même si les cinémas art et essai d’Occitanie ont enregistré un regain de fréquentation par rapport à 2021, ils n’ont pas retrouvé celle d’avant Covid. En cause ? La crise sanitaire a eu pour conséquence de modifier durablement les habitudes des cinéphiles. Mais ce n’est pas la seule. Jean Villa, directeur du réseau Véo Cinémas et trésorier de l’association des cinémas art et essai dans le Grand Sud-Ouest Cinephilae, fait le point sur la situation en Occitanie, identifie les raisons qui explique la désertion des salles obscures par les spectateurs et fait part de son optimisme pour l‘avenir.
Jean Villa, quelle est la situation actuelle des 147 cinémas art et essai d’Occitanie, tant en termes de fréquentation que de chiffre d’affaires ?
Dernièrement, nous avons observé deux phénomènes. Par rapport à 2021, année où nous avons pu rouvrir les cinémas après la crise sanitaire, la fréquentation a augmenté de 50% en Occitanie. Mais ce chiffre est forcément trompeur et peu représentatif. Nous préférons comparer avec des années dites “normales” comme 2019, 2018 et 2017. Et là, nous enregistrons une baisse de 25% par rapport à ces années pré-Covid. Cela signifie que nous subissons encore les conséquences de la crise sanitaire.
Concernant le chiffre d’affaires, il est directement corrélé au nombre d’entrées dans les cinémas d’art et essai puisque nous n’exploitons que très peu les activités annexes, type confiserie. Ainsi, en Occitanie, le CA des salles a également chuté de 25% par rapport à 2019.
Certaines salles d’art et essai s’en sortent-elles mieux que d’autres ?
Effectivement, tous les cinémas d’art et essai n’affichent pas les mêmes évolutions. Certains établissements classés “art et essai” proposent également des films généralistes. Ceux-là s’en sortent mieux, leur marge de progression est importante. C’est plus difficile pour les salles qui ne diffusent que des films d’art et essai, exclusivement. Cependant, ces dernières ont pu bénéficier d’une offre de films plus conséquente que les cinémas généralistes, qui eux ont pâti de l’absence de productions américaines à l’été 2022. Pour rappel, il se passe environ deux ans entre le moment où un film est tourné et celui où il sort en salles. Ainsi, tous les tournages ayant été interrompus en 2020 à cause de la Covid, c’est aujourd’hui que la pénurie se fait sentir. Pour preuve : “Top Gun – Maverick” est resté à l’affiche durant cinq mois, de mai à septembre 2022. Et en septembre, c’est encore lui qui faisait le plus d’entrées. D’ordinaire, un film ne reste que deux mois maximum. Ce n’est donc pas une situation normale.
Face à la baisse de la fréquentation, des cinémas d’art et essai en Occitanie ont-ils dû mettre la clé sous la porte ?
Non ! En tous cas, pas à cause de la crise sanitaire. Ceci grâce au soutien massif de la profession par les pouvoirs publics. Nous avons pu bénéficier du chômage partiel et nous avons obtenu des aides sectorielles importantes. Ainsi, comptablement parlant, nous pouvons même dire que l’année 2021 n’a pas été si mauvaise…
Comment expliquez-vous le délaissement des salles obscures depuis 2021 ?
La baisse de fréquentation a plusieurs causes à mon avis. D’abord, celle du déficit de l’offre, comme nous l’avons déjà évoqué.
Ensuite, celle des arbitrages des producteurs, qui décident, volontairement, de ne plus sortir leurs films au cinéma, mais sur des plateformes de streaming. Par exemple, Martin Scorsese a proposé “The Irishman” uniquement sur Netflix, quand Disney a réservé la sortie de “Soul” à sa propre plateforme Disney+. Mais cette tendance ne devrait pas durer, pour la simple et bonne raison que les producteurs ne perçoivent que le cachet convenu lors du contrat avec la plateforme, peu importe le succès du film. En sortant au cinéma, ils s’assurent une rémunération proportionnelle au nombre d’entrées. Ce qui est souvent plus avantageux pour eux.
Puis, viennent les choix des spectateurs. Les ménages qui se sont abonnés à ces plateformes de streaming durant les confinements souhaitent maintenant amortir leur investissement et optent donc pour des films proposés à la télé au détriment d’une sortie au cinéma. Si ce phénomène tend à s’atténuer quelque peu, au profit des sorties en famille au cinéma ou en amoureux… il reste tout de même prégnant. Disposant à la maison d’une offre conséquente, les spectateurs ne souhaitent, ou ne peuvent, pas dépenser encore plus en allant dans les salles.
D’ailleurs, le prix du cinéma est selon moi une quatrième raison pour laquelle les gens le boudent. Je suis personnellement très gêné par le prix d’une entrée dans les cinémas généralistes : environ 20 euros. En pratiquant ce genre de tarifs, ces établissements ont retiré au cinéma son caractère populaire. Or, il faut savoir que de nombreux films, même les plus grosses productions, sont également diffusés dans les salles d’art et essai, au prix de 6 euros…
Les cinémas d’art et essai n’ont donc pas retrouvé leur situation d’avant Covid… quand de nouvelles difficultés se profilent, notamment la hausse du prix de l’énergie. Dans quelle mesure les coûts de l’électricité impactent-ils leur santé financière ?
Nous aurons à combler les -25% de chiffre d’affaires enregistrés en 2022, tout en étant, c’est vrai, confrontés à de nouveaux défis. La plupart des salles voient leur contrat d’électricité arriver à terme et vont être amenées à les renégocier dans le courant de l’année. Car si ce poste de dépenses représentait 5 euros par séance, il atteint aujourd’hui 20 à 25 euros. Ainsi, sur un billet d’entrée de 6 euros, la moitié est reversée au distributeur, 1 euro est prélevé pour les taxes diverses, reste alors 2 euros aux cinémas pour assurer la rémunération du personnel et payer les frais de fonctionnement, sachant qu’actuellement l’électricité coûte à elle seule 1€. Ce n’est pas tenable.
Pour soutenir les cinémas d’art et essai d’Occitanie, la Région a maintenu l’opération “La salle d’à côté”, lancée en 2021. Elle organise ainsi différents événements dans les établissements classés pour favoriser le retour du public. Cela fonctionne-t-il ?
Ce principe d’animations en parallèle de la diffusion d’un film attire forcément plus de spectateurs. C’est une plus-value. Cependant, il s’agit-là d’événements diffus, de dispositifs ponctuels. Nous avons donc proposé à la Région de mettre en place des “médiateurs du cinéma”. Ces derniers, affectés à un seul établissement ou à un réseau de salles, pourraient organiser ce type d’opérations plus régulièrement, accompagner les professionnels au quotidien et avoir un impact durable sur la fréquentation…
Ce constat vous amène-t-il à imaginer une possible diversification des cinémas d’art et essai ?
Une modernisation des structures qui deviennent plus écologiques, plus confortables… oui. Une diversification, pas forcément. Attention aux fausses bonnes idées. Je m’explique : ce qui fait aujourd’hui la force des cinémas d’art et essai, c’est de pouvoir proposer au plus grand nombre, des films à des prix faibles. Cela ne sera plus forcément possible si nous organisons des animations inédites pour chaque film, car elles ont un coût, que nous devrons forcément répercuter sur le prix du billet d’entrée.
Pensez-vous que le secteur va pouvoir retrouver un niveau d’avant Covid ? Quelles sont les perspectives ?
Je ne suis pas très inquiet. Je suis plutôt même optimiste. La fréquentation cinématographique a toujours été cyclique. Et je pense que si nous parvenons à garder la proximité avec les spectateurs, ce qui est l’ADN des cinémas d’art et essai, ils reviendront. Nous devons continuer à leur proposer une offre personnalisée, à les accueillir de manière chaleureuse et humaine comme nous savons le faire, à leur prodiguer des conseils, à échanger avec eux. Cela prendra un peu de temps, mais je reste confiant pour la suite.
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