Amarrée depuis plusieurs années au Port Saint-Sauveur à Toulouse, la péniche Motus cache bien des histoires. Véritable témoin du passé, l’embarcation a connu de nombreuses aventures avant d’être labellisée “Bateau d’intérêt patrimonial” en 2023. Ludovic Nicolle, actuel propriétaire de l’embarcation, nous livre ses secrets.
C’est un véritable travail d’enquête que Ludovic Nicolle, cofondateur de l’agence de design global Brio, a entrepris ces deux dernières années. En 2021, il décide d’acheter la péniche Motus, amarrée au Port Saint-Sauveur à Toulouse. Passionné par l’histoire, il commence alors à s’intéresser à la vie du bateau. Seulement, le nouvel acquéreur n’avait pas beaucoup d’éléments. « J’ai malgré tout réussi à retrouver les familles des anciens propriétaires, dont l’un d’entre eux est né en 1935, dans le bateau », nous rapporte-t-il. Deux ans plus tard, il raconte l’histoire insolite de sa péniche, Motus.
Son histoire commence en 1930, au fin fond des “Ateliers et chantiers navals de la Meuse », à Givet, dans les Ardennes. La péniche, alors nommée “Artisan”, y voit le jour. Après de longues journées de travail, ses créateurs la mettent à l’eau pour la première fois en 1931. Seule une vingtaine de bateaux sortira de ces ateliers, conférant à l’Artisan un caractère singulier dès sa construction. « Elle a longtemps navigué dans le Nord, l’Est, en Allemagne et en Belgique », raconte Ludovic Nicolle. Puis quelques années plus tard, la Seconde guerre mondiale éclate et l‘embarcation se retrouve entre les mains des Allemands.
Durant cette guerre, la péniche Artisan est mitraillée par l’aviation américaine. Aujourd’hui encore, les visiteurs peuvent apercevoir, depuis l’intérieur, les 56 impacts de balles, centrés sur la cale arrière. En juin 1944, les Américains réquisitionnent à leur tour le bateau. Artisan sera d’ailleurs l’une des premières embarcations à rejoindre les ports de Rouen et du Havre après le débarquement pour ravitailler les troupes américaines.
Après la guerre, la péniche Artisan a encore bien des choses à offrir. En 1962, un nouveau chapitre s’ouvre alors pour l’embarcation. Elle est rachetée et amenée sur le Canal du Midi. Le nouveau propriétaire lui insuffle ainsi une nouvelle vie en lui donnant le nom “Motus”, qu’il inscrit sur la coque. Le bateau retrouve sa fonction première : le transport de marchandises. Seulement, il ne répond pas aux critères nécessaires pour naviguer sur l’axe entre Toulouse et Sète. Ludovic Nicolle explique : « Les écluses du Canal ne sont pas au gabarit Freycinet (norme européenne régissant la dimension des écluses, NDLR), soit 39 mètres à l’époque. Il a alors dû réduire la péniche de 8 mètres pour pouvoir passer les écluses longues de 30 mètres. Il a ensuite conservé le morceau découpé dans le bief de Sallèles-d’Aude. »
Pendant plusieurs années, l’embarcation raccourcie assure le commerce entre la Méditerranée et Toulouse. Et au début des années 1970, les travaux du Canal latéral à la Garonne s’achèvent et le nouvel aménagement propose des infrastructures au gabarit Freycinet. La péniche Motus récupère son morceau manquant et retrouve sa longueur d’antan, soit 39,26 mètres. Le bateau, quoi qu’ayant plus fière allure, ne pourra désormais plus emprunter la portion entre la Ville rose et Sète. Il se concentre dorénavant sur le transports de marchandises de Toulouse à Bordeaux. Le commerce fluvial connaît de nombreuses difficultés et progressivement, il disparaît tout simplement pour laisser place à la navigation de tourisme. En 1989, la péniche Motus fait ainsi son dernier voyage chargé, marquant la fin du transport de marchandises sur l’œuvre de Riquet.
Motus connaît de nouveaux propriétaires en 1992. Et ne servant plus au commerce, la péniche est démotorisée et amarrée à Toulouse, près des Ponts-Jumeaux. Sa vocation change temporairement. En 1996, l’embarcation devient alors le “Maranatha” et accueille de nuit comme de jour les SDF de la ville. Ludovic Nicolle précise : « À ce moment-là, le bateau n’est plus qu’une épave, son état est très critique. Il évite de peu le déchirage (démantèlement, NDLR). » Heureusement, son énième rachat en 1999 le sauve de la destruction. Les nouveaux propriétaires lui donnent finalement le nom “Toolhouse” et refont la sole (fond plat des péniches,NDLR) et les superstructures à neuf.
Quatre ans plus tard, la péniche rouvre au public sous forme d’un espace culturel pouvant accueillir jusqu’à 100 personnes. Les gens s’y pressent pour découvrir la « plus grande structure culturelle flottante du Grand-Sud ». Seulement, le bateau rencontre de nombreux problèmes de sécurité et des dégradations, ce qui poussent les propriétaires à déplacer la péniche. Elle s’installe alors définitivement au Port Saint-Sauveur où elle change une fois de plus de propriétaires en 2011, avant de retourner à la vente.
En 2021, c’est le coup de cœur entre Ludovic Nicolle et la péniche : « Je cherchais des bureaux plus petits et moins chers pour l’agence Brio, située alors rue Croix Baragnon. Finalement, ce n’était pas prévu, mais nous avons fini par l’acheter. » Paradoxalement, Ludovic Nicolle a le mal de mer, mais rien qui le dérange au quotidien, puisque « travailler dans un lieu comme ça, c’est idéal pour nous qui sommes créatifs. »
L’agence Brio entreprend alors de nouvelles rénovations de la péniche et lui rend son premier nom toulousain, “Motus”. « Nous l’avons passé en cale sèche pour faire des expertises et la remettre à l’eau. Nous avons alors procédé à la remise en état de la coque du bateau. Ensuite, nous avons repeint les extérieurs et nous avons rénové toute la partie ancienne. Il restait en effet une zone intérieure intacte datant de 1930, que l’on appelait le “logement du marinier”. Nous l’avons entièrement restaurée », détaille Ludovic Nicolle.
La particularité de la péniche Motus, amarrée à Toulouse, est qu’elle a gardé sa forme d’origine. « Il n’y a pas beaucoup de changements depuis sa création, ce qui est assez rare. Les seules différences notables concernent la timonerie, la cabine extérieure. Celle-ci est un peu plus grande que celle d’origine, mais elle reste dans le même format. Nous avons également aménagé toute la cale en logement », décrit le nouvel acquéreur. Son aspect extérieur encore intact a d’ailleurs ému un des premiers propriétaires retrouvé par Ludovic Nicolle. « Il était tellement content d’apprendre qu’elle existait encore », sourit le gérant de l’agence.
La conservation de sa forme d’origine lui vaut d’ailleurs le label “Bateau d’intérêt patrimonial”, décerné en 2023. Pour pouvoir l’obtenir, le propriétaire actuel a alors monté un dossier auprès du Patrimoine maritime et fluvial dans lequel il a su démontrer que l’embarcation avait un intérêt patrimonial et des valeurs historiques et qu’elle n’avait pas beaucoup été transformée. Désormais, la péniche Motus repose dans le Port Saint-Sauveur à Toulouse et accueille les clients de l’agence Brio, émerveillés par ses secrets.
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