Lucile Vigué est doctorante en biologie et travaille sur la résistance des bactéries aux antibiotiques. Cette chercheuse toulousaine de 27 ans vient d’obtenir le prix Jeunes Talents L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science. Grâce à cette récompense, elle espère servir d’exemple aux jeunes filles et faire tomber le “plafond de verre” qui les empêche de se lancer dans une filière scientifique. Voici son portrait.
« Tu es là pour remplir les quotas de femmes dans la science ! » Une phrase qui résonne encore dans la tête de Lucile Viguié. Une phrase qui aurait pu la faire douter quant à sa légitimité à exercer, en tant que femme, une profession scientifique. « Cette réflexion m’a réellement atteinte, elle m’a prise aux tripes », se souvient-elle. C’était lors de ses années de “prépa” à Toulouse. En réponse, elle passe le concours de Polytechnique et intègre la prestigieuse école d’ingénieur pour y suivre un cursus de physique-mathématiques, qu’elle délaissera finalement pour s’orienter vers la biologie.
Elle, ne s’est pas laissée enfermer sous le “plafond de verre” qui empêche les femmes d’accéder à des postes à responsabilités ou dans des domaines traditionnellement réservés aux hommes. « Dans mon entourage, de nombreuses femmes évoluent dans le milieu scientifique, les mathématiques, la physique, la médecine… Ainsi, je ne me suis jamais dit que cette voie m’était interdite ». Elle s’est obstinée et fait aujourd’hui partie des 28% de femmes chercheuses en France ; elle reçoit même, ce mercredi 12 octobre, le prix Jeunes Talents L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science.
Une récompense que Lucile Viguié prend comme un véritable encouragement : « J’ai pu présenter mon travail à des chercheurs émérites qui ont reconnu ma valeur », explique-t-elle. C’est pour elle une reconnaissance méritée et l’occasion de prouver aux jeunes filles qu’elles peuvent, comme elle, embrasser des carrières scientifiques. Elle, consacrera la sienne à la biologie. Une discipline dans laquelle elle a obtenu un Master en Suisse, avant d’effectuer son doctorat en France. En troisième année, elle y prépare une thèse sur la résistance des bactéries aux antibiotiques, qu’elle réalise au laboratoire de l’institut de santé de l’hôpital Bichat, à Paris. Plus précisément, la jeune Toulousaine travaille sur l’espèce Escherichia coli. « J’étudie et observe la façon dont elle évolue et s’adapte à son environnement », précise-t-elle.
Mais en réalité, « c’est l’ADN que je veux comprendre ! » avoue la scientifique. Car au travers du sujet de sa thèse, elle s’intéresse aux mutations génétiques. « Si l’on parvient à saisir le processus de mutation des bactéries qui leur permet de résister aux traitements, l’on pourrait le transposer aux mutations de l’ADN humain qui provoquent l’apparition de pathologies génétiques et ainsi les prévenir », s’enhardit Lucile Viguié. Cela permettrait également de pouvoir adapter des traitements lorsque celui en cours ne fonctionne plus. Ou même en débuter un avant même que la maladie ne se déclare car nous pourrions en prédire les premiers symptômes.
Enthousiaste devant les perspectives que ses travaux pourraient ouvrir, Lucile Viguié s’investit totalement dans ses recherches. Elle veut comprendre ! Une caractéristique inscrite dans son propre ADN. « J’ai toujours été curieuse du monde qui m’entoure et j’ai toujours essayé de le comprendre – mon père étant lui-même chercheur en physique, cela m’a sûrement influencé. Aujourd’hui, j’assouvis ce besoin à travers ma profession », commente-t-elle. Une profession qui peut parfois être chronophage : entre les recherches pures, les analyses, les publications, la quête de financements… Les journées d’un chercheur sont bien remplies. « Mais c’est un métier que l’on fait par passion, ce qui rend moins difficiles les sacrifices qu’il nécessite », constate la jeune femme.
« Tout est une question d’équilibre », révèle-t-elle. Durant ses études, elle confesse avoir dû faire l’effort de mettre parfois sa vie personnelle entre parenthèses : « J’avais un objectif, et pour l’atteindre j’étais prête à renoncer aux sorties et distractions pour travailler d’arrache-pied. » Efforts aujourd’hui récompensés puisqu’elle s’apprête à débuter une carrière dans la recherche. Désormais, elle dit vouloir « préserver sa vie personnelle », tant pour elle que pour son travail. « Car on est d’autant plus efficace quand on est serein et épanoui », analyse-t-elle. De son côté, c’est en dessinant qu’elle se détend. « Je me passionne aussi pour les lieux chargés d’Histoire comme les châteaux que j’adore visiter », poursuit-elle.
Selon Lucile Viguié, « le travail ne doit pas être le seul objectif d’une vie ». Elle s’impose alors des limites. « Je quitte le laboratoire à 18h et pas à minuit. Aujourd’hui, c’est socialement acceptable car beaucoup de gens aspirent désormais au bien-être et ont compris que l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle est primordial », observe la jeune chercheuse. Autour d’elle, elle constate que beaucoup de ses collègues hommes en font de même pour aller chercher les enfants à l’école ou pour faire les courses…
En effet, le sexisme ambiant qui avait cours jusqu’à il y a quelques années tendrait à s’atténuer selon la doctorante. « Si j’ai pu entendre des réflexions douteuses parfois, c’est l’affaire de quelqu’un. Des cas isolés », décrit-elle. Elle n’a finalement pas eu l’impression de devoir faire ses preuves tant parce qu’elle est une femme que parce qu’elle est jeune. « Quand on débute, il est normal de ne pas être confiant. D’autant que la recherche est un milieu particulier. Quand j’ai commencé, je suis arrivée parmi de grands pontes et j’avoue m’être sentie fébrile », avance-t-elle.
Un sentiment qu’elle a su surmonter, encouragée par son entourage. « Je sais maintenant que je suis à ma place », lance-t-elle. Tellement légitime qu’elle souhaite œuvrer à la promotion de la science. « Je ne sais pas encore de quelle manière mais je voudrais faire évoluer ma carrière sur un poste disposant d’une interface entre la science et la société. Dans le milieu de la santé par exemple, ou du développement durable… », se projette Lucile Viguié.
La période de crise sanitaire liée à la Covid-19, lui a également fait prendre conscience de la défiance des gens envers la science. « La parole scientifique a été fortement remise en doute. Et je voudrais participer à reconstruire la confiance dans le processus scientifique », explique-t-elle. Un nouvel objectif qui vient s’ajouter aux multiples envies de la jeune chercheuse.
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