La profession d’expert-comptable évolue. Les technologies numériques en bouleversent les missions et l’avènement de l’intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives de développement pour les cabinets qui doivent anticiper leur adaptation. Le nouveau président de l’ordre des experts-comptables Occitanie, Éric Gillis, revient sur ces enjeux qui vont marquer son mandat de deux ans. Interview.
Éric Gillis, quelles sont les priorités de votre nouveau mandat, à la tête de l’ordre des experts-comptables Occitanie ?
Je m’appliquerai à ce que l’Ordre soit un facilitateur pour anticiper l’évolution du travail en cabinet, notamment en ce qui concerne les relations avec les administrations publiques. Ainsi, nous travaillons régulièrement avec la Direction régionale des finances publiques pour les impôts et avec l’Urssaf pour le social, afin d’envisager des mesures de simplification. L’objectif étant de faciliter les échanges et les procédures entre nos cabinets et l’administration pour les rendre moins chronophages. Par exemple, disposer d’un canal privilégié de discussion entre ces services et les experts comptables. Cela permettrait d’améliorer le quotidien. Autre exemple, celui du “mandat implicite” : l’idée serait ici de considérer que, en tant qu’expert-comptable de mon client, je suis en droit de demander à l’administration de télédéclarer ses données, sans besoin d’un mandat supplémentaire, cette prérogative étant comprise dans la lettre de mission que je signe avec mon client.
Votre mandat sera également marqué largement par les adaptations de la profession aux enjeux du numérique…
Effectivement, l’une de mes ambitions est d’orienter ma mandature vers le numérique et sa sécurisation, éléments qui vont entraîner une transformation forte des cabinets dans les prochaines années, notamment en ce qui concerne les compétences des collaborateurs. Avec l’arrivée de la facture électronique, de l’intelligence artificielle, qui sont aujourd’hui des évidences dans nos cabinets, il faut faire évoluer le métier. Il s’agit là d’un véritable challenge pour le Conseil régional de l’ordre des experts-comptables. Pour cela, nous devons préparer des programmes de formation qui soient en mesure de répondre aux nouveaux besoins d’évolution des collaborateurs et de l’expert-comptable dans la gestion du cabinet et des missions de demain. En Occitanie, nous organisons des rendez-vous réguliers, qui abordent l’évolution du métier et qui permettent ainsi aux cabinets d’anticiper ce que sera leur fonctionnement de demain.
« La possibilité alors de proposer de nouveaux services, possibles dès lors que nous aurons une maîtrise très forte de la data »
Concernant le numérique, au sens large, une première échéance, qui demande adaptation, est celle des factures électroniques. Elle sera obligatoire au 1er septembre 2026. Comment cette mesure va-t-elle transformer la profession et les missions de l’expert-comptable ?
En 2026, l’obligation concernera les grandes entreprises et celles de tailles intermédiaires (ETI), mais en septembre 2027, toutes devront s’y soumettre. Nous travaillons sur cette échéance qui demande beaucoup de réactivité puisque cette mesure a été reportée plusieurs fois et a subi plusieurs modifications, notamment l’abandon de l’idée d’une plateforme propre à l’administration (PPF), au profit de plateformes de dématérialisation (PDP). Nous espérons maintenant que ce délai sera tenu, car les cabinets ont déjà commencé à s’y préparer.
Demain, avec la facture électronique, les comptables ne traiteront plus de factures scannées en PDF, mais dans un format qui englobera toutes les données de la facture dans le corps même de son format, ce qui permettra de ne plus réaliser de saisie comptable pour pouvoir disposer de données puisque ces dernières seront directement générées sous un format exploitable. Un gain de temps certain et la possibilité alors de proposer de nouveaux services, possibles dès lors que nous aurons une maîtrise très forte de la data. Par exemple, de nouveaux outils de gestion permettront de récupérer ces données et de les exploiter et les rendre intelligibles pour le client. Et ce, en temps réel, ce qui évitera l’effet “rétroviseur” que l’on peut avoir avec des comptes disponibles trois mois après la clôture.
Les factures électroniques allègeront donc les cabinets comptables des tâches de saisie. Cela signifie-t-il une baisse des effectifs ?
Même si nous n’aurons plus, à terme, de tenue comptable au sens où on l’entend aujourd’hui, ce temps sera remplacé par d’autres tâches, d’autres missions. Nous pourrons, par exemple, mettre en place des tableaux de bord pour les clients de façon quasi instantanée, mener de nouvelles missions d’assistance administrative… À partir de la data, les cabinets vont proposer un panel de services plus large aux entreprises pour leur permettre de se concentrer sur leur cœur de métier. Donc au contraire, il n’y aura pas de conséquences négatives sur l’emploi dans les cabinets, dès lors que ce dernier s’y sera préparé.
La technologie n’est pas une menace directe sur l’emploi, mais un facilitateur pour repenser l’action de conseil de l’expert-comptable au sein des entreprises. Pour moi, c’est cela l’innovation technologique, il ne faut pas en avoir peur. Bien sûr, certaines tâches vont être automatisées dans l’avenir, mais cela va nous permettre de nous concentrer sur d’autres. Il s’agit donc d’une évolution des compétences.
« Un transfert de compétences sur le personnel existant et une entrée de nouvelles compétences »
De quelle manière vont donc évoluer la profession et le fonctionnement même des cabinets d’experts-comptables ?
Les collaborateurs évolueront naturellement vers des prestations nouvelles comme de l’assistance administrative, de l’assistance au recouvrement de créances pour les clients, de la mise en place d’outils de gestion. Il existe plein de missions que nous ne traitons que trop peu pour l’instant et que nous pourrons généraliser demain.
Aujourd’hui, dans nos cabinets, de nouveaux profils commencent à apparaître, à l’image des “dompteurs d’IA” qui injectent de la donnée dans la machine et qui lui apprennent à raisonner. Ou comme des spécialistes dans l’analyse de la data. Mais, tous les cabinets n’ont pas forcément les moyens de s’allouer les services d’un ingénieur d’exploitation de datas. Ainsi, le rôle de l’Ordre est de s’assurer que les éditeurs de logiciels proposeront au maximum d’outils pour aider, petits ou grands cabinets, à assumer ce rôle sans avoir forcément besoin d’internaliser une fonction. Il y aura donc à la fois un transfert de compétences sur le personnel existant et une entrée, soit en interne, soit en externe, par le biais de consultants ou de partenariats, de nouvelles compétences pour assumer une redéfinition des missions.
Et l’intelligence artificielle, aura-t-elle un rôle dans vos nouvelles missions ?
Oui, sur des domaines comme la documentation, par exemple. Lors de recherche de jurisprudences, l’intelligence artificielle donne des résultats beaucoup plus poussés, beaucoup plus précis, et permet d’affiner notre conseil. Également, dans l’interprétation des datas. L’IA nous facilitera le travail dans toutes les tâches répétitives, qui ne nécessitent pas forcément une grande expertise.
De plus, je pense que cette technologie, contrairement aux idées reçues, va renforcer la relation humaine avec les clients, parce que ces derniers ne demandent jamais un tableau, mais un conseil, un commentaire. Libérés des tâches rébarbatives, nous serons plus présents dans l’analyse des données pour aider le chef d’entreprise à prendre du recul et piloter sa société.
Tout l’enjeu dans l’utilisation de l’intelligence artificielle est aujourd’hui de l’encadrer en s’assurant que la donnée qui va servir de base au travail de l’IA soit de qualité. Ensuite, il faut s’assurer de ne pas faire confiance à la machine sans exercer un libre arbitre, car, si un collaborateur ne sait pas faire quelque chose, il va le dire. En revanche, la machine ne le dira pas et sortira une réponse erronée. Il est donc impératif de garder une validation humaine.
« La sécurité informatique sera un critère différenciant »
Est-ce que certaines entreprises restent réticentes à ces évolutions, du point de vue sécurité ?
Oui, essentiellement celles qui ont déjà subi des cyberattaques. Alors, l’objectif de l’Ordre est d’évangéliser les cabinets vers cette culture de la sécurité, qui passe nécessairement par l’attribution d’un budget. Les cabinets doivent accorder un budget à leur sécurité informatique pour être le mieux protégés dans leurs relations clients. C’est fondamental. C’est même un critère différenciant.
A l’inverse, d’autres voient plus dans la relation sécurisée, de la contrainte. C’est à nous de le convaincre en leur expliquant qu’ils sécurisent ainsi leur propre entreprise.
Quel va être l’impact pour vos clients de telles évolutions ; le recours à un expert-comptable va-t-il coûter plus cher ?
C’est la liberté de chaque cabinet d’organiser son process market. Cependant, la nouvelle façon de fonctionner, les formations des collaborateurs à ces méthodes, l’investissement dans les nouvelles fonctionnalités informatiques… Tout cela a un coût, qui va certainement se répercuter dans les facturations des cabinets vis-à-vis de leurs clients. Mais, le gain de temps généré va, a contrario, avoir un effet minorant. Donc, je pense qu’un équilibre dans la facturation sera atteint dans les prochaines années, entre développement de technologies, de compétences et réduction de temps.
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