Michaël Delafosse, le maire de Montpellier, a fait le pari de la gratuité totale des transports en commun, une mesure vivement critiquée par la Cour des comptes Occitanie. Entre enjeux écologiques, justice sociale et interrogations budgétaires, le débat sur la viabilité de ce modèle divise élus et magistrats.
La décision de rendre gratuits les transports en commun pour tous les habitants de Montpellier Méditerranée Métropole continue de susciter des débats passionnés. Un rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) d’Occitanie, publié en février, met en cause la gestion de la TaM, l’opérateur local de transport, et questionne la soutenabilité économique d’une mesure phare du mandat de Michaël Delafosse. Face à ces critiques, le maire de Montpellier et président de la Métropole monte au créneau et défend une politique qu’il présente comme à la fois démocratique, sociale et écologique.
Dans un document de plus de 100 pages, la CRC pointe ce qu’elle considère comme des fragilités structurelles du réseau de transport montpelliérain. Selon elle, l’offre reste trop concentrée sur le centre-ville, avec un réseau de tramway performant mais qui dessert très insuffisamment les communes périphériques. Le maillage de bus, censé compléter cette offre, peine à répondre aux besoins de mobilité des habitants éloignés du cœur urbain.
La Cour relève également une baisse continue de la fréquentation depuis 2018, aggravée par la pandémie de Covid-19, qui a fait plonger l’activité de 45%. La situation ne se serait pas redressée de manière homogène depuis la sortie de crise. La chambre régionale estime par ailleurs que la TaM n’a pas suffisamment anticipé l’impact économique et organisationnel de la gratuité. Elle pointe un manque de données fiables sur la vitesse commerciale, la ponctualité ou encore le volume réel de voyageurs, autant d’éléments qui compliquent l’évaluation de la qualité du service. Enfin, la CRC reproche à la collectivité de ne pas avoir aligné sa politique de stationnement avec la gratuité des transports, notant que les parkings, qui représentent près d’un quart du chiffre d’affaires de la TaM, n’ont pas fait l’objet d’une révision tarifaire cohérente.
Dans ses conclusions, l’institution souligne que « la situation financière future de l’entreprise TaM dépendra du modèle économique retenu, dans le cadre de la future société publique locale », rappelant que la gratuité concerne environ 85% des usagers et que ses conséquences doivent être intégrées dans une vision d’ensemble. Autrement dit, la gratuité ne peut être isolée d’une réflexion plus large sur la performance du réseau et la pérennité de son financement.
Michaël Delafosse rejette fermement ces conclusions, qu’il considère comme éloignées de la réalité locale. Il rappelle d’abord que la gratuité des transports n’est pas une décision improvisée mais un engagement politique majeur, pris devant les électeurs lors des municipales de 2020 et mis en œuvre le 21 décembre 2023. Pour lui, remettre en cause ce choix reviendrait à nier la légitimité démocratique et les compétences des collectivités territoriales en matière de transport. « La gestion des autorités de transports relève de la décentralisation et de la libre administration des collectivités territoriales », insiste-t-il.
Le maire met également en avant des indicateurs qu’il juge probants. Un an après la mise en place de la gratuité, la fréquentation des transports a bondi de plus de 27%. Dans le même temps, la création d’une Police Métropolitaine des Transports (PMT) a permis de renforcer la sécurité et de réduire les incivilités, avec une baisse constatée de 34% entre 2019 et 2025. Baisse toutefois nuancée par les syndicats de la TaM, qui relèvent eux, sur le terrain, une augmentation des incivilités depuis la mise en place de la gratuité.
Sur le plan environnemental, les chiffres produits par l’organisme ATMO, l’agence régionale de surveillance de la qualité de l’air, montrent une amélioration spectaculaire : entre 2019 et 2024, le nombre de personnes surexposées au dioxyde d’azote (NO₂), un polluant lié au trafic routier, a chuté de 90%, et les surfaces concernées par un dépassement des normes ont diminué de 67%. Pour Michaël Delafosse, ces données prouvent que la gratuité s’inscrit dans une stratégie globale de transition écologique et qu’elle contribue concrètement à l’amélioration de la qualité de vie.
À ceux qui accusent la gratuité de freiner l’investissement, le maire socialiste répond que c’est exactement l’inverse qui s’est produit. « La Métropole a ainsi multiplié par 2,4 son investissement en faveur des transports (passant de 471 millions d’euros entre 2014 et 2020 à 1,133 milliards sur la mandature actuelle) », note l’édile. De nouveaux projets structurants, comme la mise en service d’une ligne de bus-tram, l’extension de la ligne 1 vers la gare Sud de France en octobre 2025, et l’ouverture de la cinquième ligne de tramway en décembre 2025, doivent faire de Montpellier l’un des réseaux les plus denses de France, avec un kilomètre de tramway pour moins de 7 000 habitants.
Ce bras de fer révèle deux visions opposées. La Cour des comptes appelle à plus de rigueur budgétaire et à une anticipation fine des conséquences économiques et opérationnelles d’une mesure de cette ampleur. Le maire de Montpellier revendique au contraire un choix de société, qui conjugue justice sociale et urgence climatique. Selon lui, « la gratuité des transports est une grande politique redistributive à destination des plus modestes mais aussi pour la classe moyenne qui subit de plein fouet l’inflation et la stagnation des salaires. Régulièrement exclue des mécanismes de tarification sociale, la gratuité des transports, mesure d’écologie positive, est universelle et permet aux professeurs, cadres intermédiaires, infirmiers… de bénéficier de la gratuité des transports et ainsi d’économiser jusqu’à 1 600€ pour une famille de quatre personnes ».
Alors que la Cour des comptes plaide pour une hausse des tarifs, Michaël Delafosse affirme au contraire que : « tant que je serais là avec l’exécutif de la Métropole de Montpellier, les transports en commun resteront gratuits ». Pour lui, il s’agit non seulement d’un levier écologique, mais aussi d’un marqueur politique fort, qu’il entend défendre au-delà de Montpellier et dans les débats nationaux.
Ce duel met en lumière une question qui dépasse le cadre local : la gratuité des transports doit-elle être vue comme une dépense insoutenable ou comme un investissement d’avenir ? À l’heure où les collectivités cherchent à réduire la place de la voiture et à accélérer la transition écologique, Montpellier offre un laboratoire grandeur nature dont les résultats seront scrutés de près dans les prochaines années.
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