Sous pression démographique, Toulouse peine à offrir suffisamment de places en crèche. Un audit de la Chambre régionale des comptes Occitanie pointe une offre insuffisante, un taux d’occupation faible et une gestion perfectible. La Ville promet des ajustements, tandis que l’opposition dénonce une inertie persistante.
Dans un contexte de forte pression démographique, la ville de Toulouse peine à répondre à la demande croissante d’accueil des jeunes enfants. C’est le constat dressé par la Chambre régionale des comptes (CRC) Occitanie dans un audit flash (sur l’exercice 2022 et suivant) rendu public ce lundi 23 juin. Ce dernier porte sur les établissements d’accueil des jeunes enfants (EAJE) municipaux, désormais gérés en régie directe par la commune depuis 2023, à la suite du transfert de gestion des 16 crèches collectives auparavant sous la responsabilité du CCAS (Centre communal d’action sociale).
Malgré des efforts budgétaires importants, l’offre reste en retrait par rapport aux besoins exprimés. « Près de 1 600 familles sont en attente d’une place en structure d’accueil à l’issue des commissions d’attribution », précise la CRC. Au total, Toulouse propose 6 328 places d’accueil en crèche, dont 2 700 dans les structures municipales, soit 43% du parc global. « Chiffre que la chambre régionale des comptes a dû demander à la CAF, la Mairie ayant été incapable de les fournir », s’étonne Antoine Maurice, président du groupe d’opposition Toulouse écologique et solidaire (TESC) lors du conseil municipal du 20 juin dernier. Selon la Ville, rien d’anormal, celle-ci considérant l’offre de manière globale (public et privé) et estimant que les contrats des établissements privés relèvent de la communication interne de ces derniers.
L’élu d’opposition retiendra que la majorité des lieux d’accueil collectif est gérée par des organismes privés. En effet, le rapport fait état de 2 730 places dans les accueils mutualistes et associatifs et 869 dans les crèches d’entreprises ou les crèches privées à caractère lucratif, « soit 54% du parc », commente Antoine Maurice. Selon lui, ce phénomène ne fera que s’amplifier : « Le transfert de la gestion des crèches du CCAS vers la Municipalité, ne vous sert qu’à les céder ensuite au privé, après de petits arrangements entre amis ! » Laurence Katzenmayer, adjointe au maire en charge de la petite enfance, rappelant à toute fin utile que les associations gestionnaires de crèches ont répondu à un appel à manifestation d’intérêt (AMI). « De toute façon, publique ou privée, à Toulouse, les familles payent le même prix pour un place en crèche », coupe court Jean-Luc Moudenc.
Au-delà de ces considérations de statuts, le rapport de la CRC fait état « d’une offre locale insuffisante », soit « 57 places pour 100 enfants ». Paradoxalement, le taux d’occupation des crèches municipales reste faible, à moins de 50% en 2023, contre 63% dans l’ensemble des EAJE du département de la Haute-Garonne. « Le résultat d’une gestion des commissions d’attribution opaque et idéologique », pour Antoine Maurice. La priorité donnée aux familles dont les parents travaillent et qui cherchent une place à la semaine est pour lui une erreur politique, qui ne répond pas aux besoins de tous les Toulousains.
Mais pour la majorité, ce n’est pas la seule raison. Les horaires d’ouverture en sont une autre, structurelle. « Les crèches municipales sont accessibles de 7h30 à 19h, contre 8h à 17h30 dans les établissements privés. Sachant que la plupart des familles dépose leur enfant à 9h et le récupère à 17h30, il n’est pas difficile de comprendre que notre taux d’occupation soit moins élevé, en revanche nos horaires permettent de satisfaire plus de parents », s’agace Laurence Katzenmayer.
Alors, plusieurs pistes sont évoquées pour augmenter le taux d’occupation des crèches municipales : révision des délais des procédures d’attribution, élargissement des horaires d’ouverture et développement des formules de multi-accueil incluant les haltes-garderies.
Car cette sous-utilisation impacte directement les finances publiques. En 2023, le budget de fonctionnement des EAJE municipaux s’est élevé à 58,6 millions d’euros, pour un reste à charge de plus de 11 000 € par place, bien au-dessus de la moyenne nationale fixée à 6 700 €, décrit la chambre régionale des comptes. Un raisonnement que l’adjointe au maire en charge de la petite enfance explique : « Depuis le transfert de gestion des crèches du CCAS vers la Commune, leur coût a augmenté parce que nous avons aligné les salaires des personnels à celui des agents municipaux, et ils en sont plutôt ravis », se satisfait Laurence Katzenmayer, rappelant que la masse salariale représente 70% du coût d’une crèche publique.
Pour Antoine Maurice, ce seul argument n’explique pas tout. « Le vrai problème est celui de la gestion centralisée et uniforme de la Ville », analyse-t-il. D’ailleurs, la CRC recommande d’examiner la possibilité de réserver une large amplitude pour quelques établissements par quartier en fonction des publics accueillis, pour concentrer le maximum d’agents sur les heures à fort taux d’occupation. Une meilleure gestion du personnel qui allègerait les coût en termes de masse salariale, et qui améliorerait les conditions de travail d’agents qui sont structurellement en sous-effectifs.
La CRC met en effet en évidence des difficultés structurelles, à commencer par un déficit de personnel. La Ville peine à recruter en raison d’une « faible attractivité du métier ». « Des salaires qui restent inférieurs aux autres communes de la Métropole, un seul jour de formation par an et peu de perspectives d’évolution professionnelle », énumère Antoine Maurice. Car s’il reste difficile de recruter, le personnel de crèche en poste ne suit plus. Le taux d’absentéisme est en effet un autre facteur aggravant : en 2023, chaque agent a été absent en moyenne 31 jours, soit l’équivalent de 76 équivalents temps plein. Une situation qui, selon la CRC, « s’aggrave en 2024 ».
Un chiffre élevé que Laurence Katzenmayer estime inhérent à la profession : « Le risque infectieux professionnel dans le secteur de l’accueil du jeune enfant est plus plus important qu’ailleurs. Les agents sont en contact permanent avec des bébés souvent malades. De même, ce sont généralement de jeunes femmes, qui ont elles-mêmes des enfants, ce qui induit des absences. » Ceci étant dit, la chambre régionale des comptes souligne que « les absences pour raisons de santé, dites compressibles c’est-à-dire celles pour lesquelles l’employeur peut mettre en œuvre des mesures de prévention de l’absence, représentaient 71% des jours d’absence ».
Face à ces déficiences, la Mairie a engagé un plan global visant à en traiter les causes multiples. Position volontariste que reconnaît tant la chambre régionale des comptes que l’opposition. Cependant, cette dernière regrette le temps perdu : « Cela fait 10 ans que nous vous alertons sur toutes ces problématiques, dont vous êtes les responsables », scande Pierre Lacaze, élu communiste au conseil municipal. Ainsi, si pour l’opposition le rapport de la CRC ne fait qu’énumérer les manquements de la majorité, pour l’exécutif il s’agit moins d’un procès que d’observations permettant de s’améliorer. Les élus ont pris acte.
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