La librairie toulousaine Ombres Blanches fête cette année ses 50 ans. A cette occasion, le Journal Toulousain a voulu retracer son histoire et s’est particulièrement intéressé à ces anecdotes peu connues du grand public.
Avant de devenir la librairie Ombres Blanches que l’on connaît aujourd’hui, installée au 50 rue Léon Gambetta à Toulouse, la toute première boutique, ouverte en septembre 1975 par Jean-Paul Archie, se trouvait juste à côté, au numéro 48 de la même rue, là où se tient désormais l‘annexe de la librairie dédiée au voyage. Quand Christian Thorel et son épouse récupèrent les clés de la librairie en 1979, ils se lancent avec audace. À chaque opportunité, ils investissent et agrandissent : « J’avais du mal à imaginer passer une grande partie de ma vie dans un endroit réduit donc à chaque fois que je le pouvais, je poussais les murs », raconte Christian Thorel, à la retraite depuis 2019, mais toujours présent aux côtés de l’équipe qu’il continue d’accompagner. En moyenne, la librairie s’étendait un peu plus tous les sept ans, passant d’un peu moins de 100 m² à ses débuts à près de 2 000 m² d’espace de vente aujourd’hui. « Nous n’avions pas fait d’école de commerce. La seule chose qui nous guidait, c’était l’envie d’espace pour les livres, l’envie de servir la diversité, la création littéraire, les sciences humaines, puis les Beaux-Arts et enfin la jeunesse », explique l’ancien directeur d’Ombres Blanches.
Le fait marquant dans cette histoire, c’est que chacun des espaces venus agrandir Ombres Blanches semblait avoir été, dès le départ, destiné à accueillir la librairie. En effet, quand Christian Thorel et son épouse décident de se développer une première fois, ils reprennent un atelier de réparation de machines à écrire. Pour se faire une idée, ce dernier était au cœur de la librairie, là où se trouvent aujourd’hui le double escalier jaune, construit en 1981. Par la suite, les rayons de la librairie s’étendent encore avec l’acquisition d’une grande papeterie, où se tient désormais l’espace café, puis de la plus vieille imprimerie de la ville de Toulouse, l’imprimerie Douladoure, dont les anciens locaux accueillent aujourd’hui la littérature jeunesse.
Dès son arrivée en 1979, Christian Thorel imagine des rencontres avec des auteurs et des expositions. Il commence alors par ouvrir un espace dédié au sous-sol du 48 rue Gambetta et organise trois à quatre événements par mois. A partir de 1989, une salle dédiée verra le jour à l’étage accueillant aujourd’hui les ouvrages sur les Beaux-Arts, permettant de proposer huit débats par mois et une exposition mensuelle. Par ailleurs, c’est à cette époque que le premier journal sur l’actualité de la librairie sera distribué. En 2000, une deuxième salle de débat ouvre sous la verrière, qui abritait à l’époque les étagères du rayon Jeunesse, avant de déménager en 2014 au 3 rue Mirepoix, lors de l’ouverture de l’annexe “Ombres Blanches étrangères”.
Christian Thorel se souvient parfaitement du premier auteur accueilli par Ombres Blanches : « Il s’agissait de Michel Butel, également connu dans le journalisme puisqu’il est l’inventeur de “L’Autre Journal” (un périodique créé en 1984 [NDLR]). Il était venu présenté son livre “L’Autre amour”, prix Médicis en 1977. C’était notre tout premier débat et il n’y a eu strictement personne donc nous finalement opté pour un dîner amical ». Cette rencontre sera la première d’une longue série puisqu’en 50 ans, Ombres Blanches a reçu 10 000 auteurs, d’après l’ancien directeur de la librairie. Elle a reçu, entre autres, Pierre Bourdieu en 1980 pour “La distinction” à la chapelle des Carmélites, Georges Perec, le 13 mai 1981, moins d’un an avant son décès, ou encore la comédienne et amante d’Albert Camus, Maria Casarès. Autre rencontre marquante pour Christian Thorel, celle avec António Lobo Antunes : « La soirée avec lui, je l’ai encore en mémoire parce que cet homme très sombre devenait lumineux lors du dîner. Je me souviens de ces échanges où il s’était ouvert comme une fleur. Je ne me suis quasiment jamais fait signer des ouvrages mais cette fois-ci, je lui ai demandé et c’était une dédicace époustouflante ».
La librairie Ombres Blanches aura également connu son lot de mauvaises surprises : elle a été victime de deux saccages au fil de son histoire. Le premier a eu lieu seulement deux mois après l’ouverture de la boutique, le second s’est produit au Banquet du livre à Lagrasse, dans l’Aude, en 2007. Ombres Blanches était présente pour la dixième édition de cette manifestation littéraire, mettant à l’honneur le travail de Pascal Quignard, autour du thème “La nuit sexuelle”. « 50 000 euros de livres ont été saccagés. Les traditionalistes catholiques ont attaqué de nuit le stand de la librairie », raconte Christian Thorel. Au total, ce sont plus de 6 000 livres qui ont été détruits par des jets de liquide et des détritus.
Autre surprise, et non des moindres, l’ouverture de la FNAC à Toulouse en 1980, dont l’ancien directeur de la librairie se souvient bien : « C’était catastrophique. Sur la première année de son installation, nous avons perdu 20 à 25% de notre activité. Nous étions en danger ! » Christian Thorel ajoute : « Ça n’a pas toujours été simple. Entre 1975 et 1989, jusqu’à la deuxième extension de la librairie qui a marqué une phase décisive pour notre établissement, c’était difficile sur le plan financier. Il a fallu veiller attentivement sur la santé de la librairie, qu’elle soit économique, sociale ou éditoriale. C’est tout cela qui a assuré la pérennité à la librairie ».
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