Perchée dans les collines de l’Ariège, Suzan est ce que l’on peut appeler une anomalie administrative. Enclavée entièrement dans la commune de La Bastide-de-Sérou, elle ne possède officiellement pas de cadastre propre. Pourtant, ses 24 habitants vivent, gèrent leur quotidien et défendent leur autonomie avec acharnement. À travers l’histoire mouvementée de ce minuscule territoire, le maire Gabriel Fauré raconte le quotidien des habitants de Suzan, commune à part entière.
Après s’être intéressée à une enclave espagnole dans les Pyrénées-Orientales ainsi qu’aux enclaves bigourdanes, la rédaction du Journal Toulousain se penche désormais sur le cas de la commune de Suzan dans l’Ariège. Un village qui a une particularité que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. En effet, Suzan est entièrement enclavé au cœur du territoire de La Bastide-de-Sérou. Comme si cela ne suffisait pas, la commune n’a pas non plus de cadastre. Son histoire inhabituelle, c’est son maire, Gabriel Fauré, en fonction depuis 2008, qui nous la raconte.
« Historiquement, elle n’est pas enclavée », rectifie d’emblée Gabriel Fauré. Le maire de Suzan préfère Enclavée, oubliée, sans cadastre : cette commune est la plus insolite d’Ariège. « Suzan, semble-t-il, était un site d’abord utilisé par les Romains, puis par les Maures, ensuite par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem au Xe siècle. Elle faisait partie de la commanderie de Gabre. » Jusqu’à la Révolution française, le territoire est structuré autour de cette commanderie, une entité puissante du Haut-Ariège médiéval.
Ce n’est qu’en 1789, quand la Constituante transforme les seigneuries en communes, que Suzan devient officiellement une commune. Mais à ce moment-là, l’administration locale va rater un tournant décisif. « Tout le monde a accepté [le bornage], sauf Suzan », explique Gabriel Fauré. La raison ? Le commandeur de l’ordre, qui était alors en voyage à Malte, n’a laissé aucune autorisation à ses consuls pour engager les démarches nécessaires. « Il est resté un an et demi là-bas, il a dû faire un peu de tourisme », ironise le maire.
Résultat : quand les services royaux puis napoléoniens établissent les limites cadastrales, ils ignorent purement et simplement Suzan. Et la confusion devient réalité. « Le cadastre de Suzan se trouve sur le cadastre de La Bastide-de-Sérou », constate Gabriel Fauré, même si Suzan reste une commune indépendante aux yeux de l’administration républicaine.
Concrètement, cela signifie que les propriétaires n’ont pas de parcelles cadastrées au nom de Suzan. « Depuis 4 ou 5 ans, je n’ai plus accès au cadastre actualisé », déplore le maire. Pour faire valoir un droit de propriété ou engager des travaux, il faut donc passer par les services fiscaux de La Bastide-de-Sérou.
De plus, la commune couvre environ 3,3 kilomètres carrés de superficie. Il est pourtant difficile de dire où commence Suzan et où elle se termine : aucun panneau n’annonce l’entrée du village, aucun bâtiment public n’en marque le centre.
Par ailleurs, Gabriel Fauré se bat au quotidien pour avoir des locaux municipaux dignes de ce nom : « Il n’y a pas de mairie à proprement parler », confie l’édile avant de poursuivre : « Pour les réunions, nous nous débrouillons. C’est souvent chez moi, dans mon salon, ou bien à La Bastide-de-Sérou si nous avons besoin d’un local plus grand. » Concernant les scrutins électoraux, la singularité de Suzan s’efface : « Nous organisons les élections dans un bureau de vote distinct de celui de La Bastide. »
Pour autant, Suzan s’organise. « Nous entretenons nous-mêmes nos chemins, nos bâtiments sont protégés contre les risques d’incendie… » affirme fièrement Gabriel Fauré. Puis, malgré son isolement cadastral, Suzan ne vit pas en autarcie. « Nous faisons partie d’un Syndicat Intercommunal de la Vocation Éducative (CIV), avec quatre écoles réparties dans le canton », détaille le maire. Les enfants de Suzan sont ainsi scolarisés dans les communes voisines, et les frais sont pris en charge collectivement. « Nous dédommageons les communes qui possèdent les infrastructures. » Le système fonctionne, et permet aux familles de Suzan de garder un accès à l’éducation.
Toutefois, Suzan n’a pas toujours eu la vie facile. « Il y a eu des velléités d’annexion », raconte le maire, évoquant des tentatives dans les années 1920 ou plus récemment avec le regroupement intercommunal. Mais pour lui, une fusion avec La Bastide-de-Sérou ne serait pas un progrès : « Nous serions noyés dans la masse. »
Alors, la prochaine fois que vous traverserez le territoire de La Bastide-de-Sérou, soyez vigilants et demandez-vous si vous n’êtes pas entrés par mégarde sur la commune de Suzan.
Commentaires
Fauré le 30/04/2025 à 15:00
par le passé, la mairie était chez le maire, mais actuellement la municipalité loue des locaux situés sur la Bastide de Sérou; mais le bureau de vote est bien distinct du bureau de vote de la Bastide et ne se trouve pas sur le même lieu contrairement à ce que laisse entendre l'article