Le Journal Toulousain va à la rencontre de Français expatriés au quatre coins du monde pour qu’ils nous racontent comment ils y vivent l’épidémie de Covid-19. Aujourd’hui, direction Goa, au Sud-Ouest de l’Inde, où Samuel Ziza, 41 ans, tient une maison d’hôtes depuis 5 ans.
Le Journal Toulousain : L’Inde fait face à sa deuxième vague d’épidémie de coronavirus et bat des records de contamination. Comment la population vit-elle cette situation ?
Samuel Ziza : Il est difficile de parler pour près d’un milliard et demi d’habitants ! Pour un pays aussi vaste, constitué de 29 États. Avec des campagnes immenses et des mégalopoles géantes de dizaines de millions d’habitants, comme la capitale New Delhi ou le poumon économique Bombay. Dans ces deux villes et à Goa, où je me trouve, la situation sanitaire est, certes, catastrophique. Mais pas telle qu’elle est présentée dans les médias Français, que je consulte tous les jours.
Comment ça ?
Ils indiquent des chiffres alarmistes sans forcément les remettre dans leur contexte. En réalité, rapporté à la population, le nombre de décès que nous connaissons ici depuis le début de l’épidémie est deux fois inférieur à celui de la France. Et, lorsqu’on annonce 300 000 nouveaux cas par jour, il faut aussi les rapporter à la population totale. Alors que la France déconfine, son taux d’incidence est quasiment équivalent à celui de l’Inde, qui est au pic de sa deuxième vague.
Et un confinement strict a été décidé à New Delhi, Bombay et Goa…
Oui et cela ne fait qu’empirer la catastrophe économique. C’était vraiment une décision à prendre en dernier recours. Parce qu’en Inde, contrairement à la France, il n’y a pas de soupape de sécurité sociale, pas d’assurance chômage, aucune aide de l’État. Le confinement prive totalement de revenus une population qui vit déjà majoritairement sous le seuil de pauvreté. Le premier confinement, en mars 2020, avait jeté sur les routes des centaines de millions de travailleurs de l’Est, de l’Ouest et du Nord de l’Inde, qui se retrouvaient sans rien. Ils avaient parcouru, à pied, des milliers de kilomètres pour rejoindre leurs campagnes. C’était hallucinant.
Comment est perçue la gestion française de la crise sanitaire ?
Je précise d’abord que les indiens ne s’intéressent pas beaucoup à l’actualité de la France, où ils n’ont pas de diaspora. Et qu’ils ont tendance à l’englober avec le reste de l’Europe continentale. Mais je peux dire que certaines mesures prises par le gouvernement français paraîtraient complètement absurdes ici. Comme l’obligation de fournir une attestation de déplacement ou la restriction des achats à certains produits. Ce serait absolument impensable en Inde. Tout comme l’omniprésence du corps médical dans les médias, et leurs débats incessants, notamment autour de l’hydroxychloroquine. Avec des invectives et la nécessité d’exprimer un avis tranché. Je n’ai pas du tout assisté à ça en Inde, où les médecins, qui font pourtant partie des meilleurs au monde, sont bien plus humbles. Quand ils ne savent pas, ils le disent.
La pandémie a-t-elle révélée, selon vous, d’autres différences marquantes entre nos deux peuples ?
Elle montre que les Indiens sont beaucoup moins disciplinés que les Français. Ils respectent moins les restrictions sanitaires. Par exemple, je me souviens que la sortie de notre premier confinement n’avait pas suscité de ferveur particulière, parce que cela faisait déjà un moment que la vie avait repris un cours quasi-normal dans les villes. La crise a aussi confirmé que c’est un peuple extrêmement solidaire et généreux, où chacun veille toujours sur son voisin. Autre grande différence avec les Français : les Indiens ne se plaignent pas. Il faut vraiment qu’ils soient en train de mourir de faim pour les entendre protester, comme cela s’est passé lors du premier confinement. Même dans la misère, ils prennent les choses avec le sourire – je crois que c’est pour cela que je n’ai pas envie de rentrer en France. Et ils relativisent : le paludisme fait beaucoup plus de morts chaque année dans le pays que le coronavirus, qu’ils voient, au final, comme une maladie de riches.
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