Interrogations. Une fois n’est pas coutume, nos invités n’étaient que deux, annulation de dernière minute oblige. L’une avocate, l’autre agent immobilier, c’est autour d’un repas convivial à la Pergola qu’ils ont discuté de la recrudescence des agressions antisémites, donné leur avis sur le travail dominical et réagi à la privatisation de l’aéroport.
Par Séverine Sarrat et Myriam Balavoine
Le rendez-vous est donné au restaurant la Pergola pour notre déjeuner débat hebdomadaire. Nous arrivons presque tous en même temps, et après quelques derniers coups de fils professionnels pour certains, nous sommes tous installés et commande est passée. Nous entrons dans le vif du sujet alors que les feuilletés de fruits de mer arrivent sur la table. Que pensent nos deux invités de ces agressions antisémites dont on parle tant ?
Honneur aux dames, Caroline Pons-Dinneweth trouve cela « préoccupant, mais à moitié surprenant, dans un contexte où tous les fanatismes sont en recrudescence et où les gens, d’une manière assez décomplexée, ont tendance à désigner l’autre comme étant la cause de tous les maux. ». Le ton est donné. L’avocate continue sur sa lancée : « Il faut faire attention à ne pas dramatiser non plus. Nous avons tous un devoir en tant que citoyen, média ou chef religieux, d’apaiser les choses, de montrer ce qui nous relie et nous fédère plutôt que ce qui nous oppose ou nous divise. »
La référence à Hervé Gourdel, guide de montagne français assassiné en Algérie, est immédiatement citée et pose la question de la médiatisation de ces événements. « C’est la communication d’aujourd’hui, qu’est-ce que vous voulez y faire ? » relève Joël Moitié. « Moi, ce qui m’inquiète plutôt c’est le comportement des gens les uns vis-à-vis des autres. Je ne parle pas spécialement du racisme, aujourd’hui, personne ne supporte la différence. » Et c’est après avoir parlé du film « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? » traitant du sujet du racisme avec humour que nous interrogeons nos deux convives : faut-il parler de ces violences ou au contraire, les étouffer ?
Caroline Pons-Dinneweth : « Il faut en parler ! Mais avec ce souci de rapprocher. C’est dommage qu’aujourd’hui les gens ne voient que par leurs différences… » Concernant l’annonce de Bernard Cazeneuve de faire de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme une cause nationale, elle réagit encore : « Pour moi, c’est un effet d’annonce. La vraie lutte contre les différences, quelles qu’elles soient, se fait au quotidien. »
Joël Moitié : « C’est aussi un sujet politique. L’important, c’est surtout la manière dont on en parle. Mettons en avant ce qui marche bien. Montrer au journal télévisé que le Pape a enlevé ses chaussures pour rentrer dans une mosquée, ça c’est un geste fort ! »
Caroline Pons-Dinneweth : « La société a un problème de positionnement par rapport à ces sujets considérés par nature comme étant polémiques, et dont il faut éviter de parler. […] On finit par tomber dans le piège que nous tendent ces fanatiques, qui est de faire un tabou de tout et de durcir nos positions. »
Du vin rouge dans les verres ballon , et la conversation se poursuit autour du sentiment d’insécurité que pourrait ressentir la communauté juive en France. « Certes il y a eu des événements dramatiques, mais globalement, il faut arrêter avec l’insécurité en France », relève l’agent immobilier.
Caroline Pons-Dinneweth : « Il y a un souci, lié à cette montée des fanatismes et à l’affirmation d’une extrême droite de plus en plus décomplexée. Pour autant, il ne faut pas que ces communautés tombent dans la victimisation. »
Joël Moitié : « C’est le rôle de la communauté concernée de mettre en avant les problèmes qu’elle rencontre. Mais parler de victimisation est exagéré. »
Avant de passer au plat, notre invitée aura le mot de la fin sur ce sujet : « Le problème c’est que l’accent est toujours mis sur les attentats, etc, mais les actions des associations qui œuvrent pour le vivre ensemble passent inaperçues. Il faut absolument trouver un moyen de fédérer tout le monde. »
Biche pour les dames, pièce de bœuf pour monsieur et nous voilà sur un nouveau sujet, le travail dominical, qui convient parfaitement à notre vice-trésorier de la CCI montalbanaise. « Je pense que c’est l’économie qui fait l’emploi, et l’économie c’est la consommation. Il y a plein de personnes qui travaillent le dimanche. »
Caroline Pons-Dinneweth : « Et qui sont bien contents d’ailleurs ! »
Joël Moitié : « Il ne faut pas aller dans un libéralisme à outrance, et donc encadrer ce travail dominical. »
Caroline Pons-Dinneweth : « On ne peut pas interdire de travailler le dimanche si on veut favoriser l’emploi et le commerce. Par contre, il ne faut pas que cela permette à la grande distribution d’engranger toujours plus de chiffre au détriment du petit commerce de proximité. Mais il est très difficile de légiférer à l’échelle nationale en droit du travail. »
Joël Moitié : « Il y a trop de travailleurs qui ne vivent pas bien. »
Caroline Pons-Dinneweth : « C’est un sujet qui nous oblige à repenser le dialogue social, les niveaux décisionnels… Il faut de la protection, mais trop de protection nuit à l’emploi. Avec trop de contraintes contractuelles, on n’embauche pas. Il faut de la flexibilité. Il faut adapter le personnel à la réalité économique de l’entreprise. »
Joël Moitié : « Être dans une entreprise, ce n’est pas seulement venir le matin, repartir le soir en échange d’un salaire. Avant, la valeur travail avait un intérêt. »
Caroline Pons-Dinneweth : « C’est vrai qu’on est dans une société où il est honteux de gagner sa vie, de réussir. Avant, c’était plutôt un modèle. Ailleurs, on n’a pas à rougir de sa réussite. Je m’interroge. »
Et les interrogations ne s’arrêtent pas là. Quand on met sur la table, autour d’un café, notre dernier sujet, à savoir la privatisation de l’aéroport. Pour le membre de la CCI, la réponse est très simple : « L’Etat et les collectivités n’ont pas les moyens d’entretenir l’aéroport, d’où cet appel au privé. Il faut arrêter de jouer les vierges effarouchées, c’est la loi du marché. »
Et pour la première fois depuis le début du repas, l’avocate s’exclame : « Je ne suis pas d’accord avec vous ! Je m’interroge sur l’intérêt de cette privatisation, puisqu’il est censé être rentable. Ensuite, pourquoi choisir un groupe étranger alors que, il me semble, il y a eu des propositions satisfaisantes de la part d’investisseurs locaux ? ».
Joël Moitié : « L’aéroport n’est pas rentable. Il nécessite des apports réguliers et l’actionnaire majoritaire qu’était l’Etat jusqu’à présent n’en a plus les moyens. Il faut se poser la question des problèmes liés à la gestion d’un aéroport. Air France coûte très cher et c’est l’opérateur principal de nombreuses structures. Il ne faut pas donner tous nos aéroports à l’étranger, mais que l’Etat en lui-même se désengage de la gestion pour une gestion public/privé, ça ne me paraît pas inapproprié. »
Quant à l’opération de crowdfunding permettant à des particuliers d’acheter des parts de l’aéroport, initiée par la plateforme Wiseed, Joël répond « Pourquoi pas ? Si cela peut diminuer les parts d’un autre opérateur oui, ce n’est pas bon que tout soit dans les mains d’un acteur unique. » Notre repas s’achève sur ces bonnes paroles, et nos deux invités échangent leurs cartes tout en continuant à discuter d’autres thèmes, ne laissant pas se terminer cet intermède si rapidement.
Mini-bios
Caroline Pons-Dinneweth
Avocate au barreau de Toulouse depuis 20 ans, elle est spécialisée en droit commercial, des contrats, en droit civil et international. Installée dans l’immeuble du Belvédère, elle a créé un business club du même nom, « un lieu privilégié d’information et d’échanges ouvert à tous les acteurs de la vie économique locale. » Elle espère ainsi que, tout comme elle, « les adhérents puissent se nourrir d’échanges, au-delà du simple réseau professionnel. » Sa prochaine réunion aura lieu le 16 décembre autour du thème du vin, à la Table du Belvédère.
Joël Moitié
Agent immobilier à Montauban, il est également le vice-trésorier de la CCI du Tarn et Garonne et président de l’Union régionale du commerce de proximité. C’est pendant les deux ans de son mandat à la Chambre de commerce et d’industrie 82 qu’il a eu l’idée de regrouper les fédérations départementales et d’en créer où il n’en existait pas encore, comme en Haute-Garonne. Créée en 2013, l’Union concrétise sa volonté de mutualiser les forces. Dans un même temps, il s’est même engagé en politique aux dernières municipales (société civile) sur la liste de Roland Garrigues.
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