Quelle est la hiérarchie de nos valeurs ? Que voulons-nous défendre en premier lieu : les biens ou les personnes ?
Par Stella Bisseuil
Posé ainsi, il y a fort à parier que tout le monde réponde : les personnes ! Oui, sauf notre Droit positif. En effet, notre Code pénal ne punit les violences volontaires sur les personnes, qu’à condition qu’elles aient entraîné une Incapacité Totale de Travail (I.T.T.) supérieure à 8 jours. Si les coups et blessures n’ont entraîné que jusqu’à 8 jours d’ITT, l’infraction ne constitue qu’une simple contravention passible uniquement d’une peine d’amende. C’est le Service de Médecine légale qui fixe le nombre de jours d’ITT, sachant que cette notion est restrictive, et ne correspond pas du tout à la durée d’arrêt de travail que pourra fixer le médecin traitant.
Et pour les biens me direz-vous ? Là, point de distinction : le vol est toujours un délit passible de 3 ans d’emprisonnement, quel que soit l’objet du vol ou la valeur du bien. Ne touche pas à mes biens, casse-moi plutôt la figure, semblent dire nos textes de loi.
Trêve de plaisanterie, cette législation obsolète est appliquée tous les jours. Et fait, la violence ordinaire, celle des agressions à coups de poings, de pieds, sur un homme, une femme, jeune ou âgé, debout ou à terre, sur le corps ou au visage, bref toutes les situations d’agression intolérables pour les personnes constituent des infractions très tolérables pour notre système judiciaire qui les met au rang du menu fretin.
« Touche pas à mes biens, casse-moi plutôt la figure »
Cette sous-estimation entraîne un sous-traitement de la violence “ordinaire” de notre société. Là où il devrait y avoir, du fait de la violence ou l’agressivité du comportement de l’auteur de l’infraction, un traitement social adapté, des peines qui se traduisent par un impact réel sur le délinquant, éducatif ou punitif, il y a une procédure type “peine d’amende” qui n’entraîne aucune prise de conscience ni aucune reconnaissance de la gravité de l’infraction. On en arrive d’ailleurs à des paradoxes qui devraient être dénoncés par tous les témoins et les acteurs de la vie judiciaire. En effet, bien d’autres incriminations qui sont, dans les faits, bien moins graves que des agressions physiques, sont plus gravement sanctionnées. Par exemple, des injures, des insultes, ou des menaces, sont des délits passibles de peines d’emprisonnement ; si bien que l’auteur de ces comportements pourra comparaître devant un Tribunal correctionnel et risquera une peine d’emprisonnement, alors qu’un passage “à tabac” de sa victime ne lui aurait fait encourir qu’une peine d’amende ! Des coups pouvant même provoquer œdème du visage, chute de dents, fracture du nez, etc. restent passibles d’une simple peine d’amende, dès lors que l’ITT n’est pas supérieure à 8 jours, ce qui est le plus souvent le cas. S’ils s’accompagnent d’un vol de téléphone portable par exemple, ou d’un objet minime, la peine encourue pour le vol est de 3 ans d’emprisonnement !
Il faut changer la loi et notre prise de conscience du niveau de violence de notre société. Il est temps de ne plus faire de l’ITT l’instrument de classification des violences volontaires, et d’adopter un texte de loi unique qui fasse de toutes les agressions sur les personnes un délit, quelles qu’en soient les conséquences. Restera ensuite pour les juges, comme ils le font pour le vol, à moduler les sanctions en fonction bien sûr du degré de violence et de la gravité des atteintes à la victime. Cette modification législative, personne ne s’en saisit actuellement, car aucun groupe de pression ne s’est créé autour de cette question. Mais il y va simplement de la justice. Et de notre capacité à affronter en face le niveau réel de violence de notre société.
CV :
Stella Bisseuil
Avocat à la Cour
51 avenue Honoré Serres
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