PENIBILITE. Au CHU de Toulouse, infirmiers et aides-soignants font chroniquement face à des heures supplémentaires, et ne prennent pas tous leurs congés. Si le manque de personnel est évident, il s’ajoute également à des défauts de gestion.
Par Amélie Phillipson
Une étude menée dans neuf pays européens et publiée en 2014 a montré que le risque de mourir des suites d’une chirurgie est plus élevé dans les hôpitaux où les infirmiers ont une charge de travail importante. Ainsi, dès qu’il y a un ratio d’un infirmier pour six patients, ajouter un patient à la charge de travail de l’infirmier peut faire grimper de 7% le risque de mortalité.
La CGT du CHU de Toulouse se base sur cette étude pour aborder la question de la charge de travail de l’infirmier qui demeure délicate, car difficilement quantifiable. «Nous écoutons les soignants», explique Julien Terrié, manipulateur en radiologie et militant syndical CGT. Dans certains services, comme en réanimation, il existe un cadre législatif imposant un nombre de patients par soignant à ne pas dépasser. «Dans les services où il n’y a pas de norme, comme en chirurgie ou en médecine, c’est très compliqué. Aujourd’hui, au CHU de Toulouse il y a des services où il y a une infirmière pour seize patients». A ce sujet, la direction du CHU a été contactée par Le Journal Toulousain, et n’a pas souhaité donner suite à la demande d’interview.
Défaut d’organisation ou conséquence du caractère imprévisible de l’hôpital ? Pour certains services, où les malades ont davantage de besoins, il est compréhensible que le nombre de patients par infirmier ou aide-soignant soit réduit. Dans d’autres, il est compliqué de prévoir combien de patients vont devoir être soignés dans la journée, la semaine ou le mois. Jean Thévenot, président du conseil de l’Ordre des médecins 31, est gynécologue obstétricien. «Il y a des jours où il y a plus d’accouchements que d’autres, on ne peut pas prévoir la quantité de personnel nécessaire». Justement, selon Julien Terrié, «on doit avoir une organisation de travail qui permet d’avoir des marges de manœuvre suffisantes pour pallier à ces aléas». Cette augmentation de la productivité des agents demandée dans certains services en cas de forte affluence, est extrêmement difficile à chiffrer. D’autant plus qu’il faut y ajouter les absences. «Sur certains postes, il y a des remplacements de dernière minute par intérim, mais les absences ne sont pas toujours compensées».
D’autant plus que ce manque de personnel et cette surcharge de travail s’ajoutent à une détérioration des conditions de travail déjà imposée par la tarification à l’acte. «Ces techniques de management ne sont pas du tout adaptées, elles n’ont pas été créées à l’hôpital mais dans l’industrie», déplore Julien Terrié. «Le temps pris à éduquer le patient à se soigner n’est plus calculé dans les organisations de travail. L’administration considère aussi que les relèves entre professionnels ne sont pas utiles, qu’on peut faire ça par informatique en remplissant des cases pour chaque patient. Il n’y a pas de temps de réunion pour échanger des informations sur les patients, ces moments peuvent pourtant éviter les erreurs», poursuit-il.
« Une infirmière pour 16 patients »
Si l’UFC Que Choisir Toulouse ne prend pas de position concernant la gestion du personnel hospitalier, elle se souci par contre de la qualité du service rendu au patient. «On pourrait améliorer l’accès aux soins en assurant une meilleure coordination entre médecins de ville et médecins hospitaliers. Il faut considérer la prise en charge d’un patient comme un parcours, avec une mise en relation entre l’amont, l’hôpital et l’aval», explique Guy Castel, vice-président de l’UFC et représentant des usagers au Conseil de surveillance du CHU. C’est dans cet esprit que le CHU a mis en place la lettre de liaison, un document envoyé au médecin traitant du patient à sa sortie de l’hôpital, portant des informations pour la suite des soins.
Pourtant, ce progrès permettant une meilleure prise en charge du patient, et donc une meilleure gestion du personnel, selon Guy Castel, n’est pas suffisant. «L’hôpital fait bien son travail mais il est obligé de prendre en charge certaines tâches qui ne lui correspondent pas. Cela pourrait être évité». Il va tout de même jusqu’à préconiser une «modification des textes fixant la répartition du personnel en fonction du nombre de patients», dans la mesure où il estime que ces textes ne prennent pas suffisamment en compte le profil des patients : «une personne de 80 ans n’a pas les mêmes besoins lorsqu’elle est hospitalisée qu’une personne de 30 ans».
Julien Terrié, quant à lui, demeure formel. «Les moyens humains accordés au CHU ne sont pas suffisants. Le cumul des congés qui n’ont pas pu être pris dans l’année équivaut à 225 postes. Le cumul des heures supplémentaires qui entraîne de la fatigue et de la pénibilité équivaut à 90 postes. La solution est simple. Il faut embaucher».
Selon une enquête réalisée par le Conseil de l’Ordre des Infirmiers en 2012, un infirmier sur deux estime ne pas pouvoir assurer une sécurité des soins optimale à ses patients, au regard de ses conditions d’exercice. «Nous sommes engagés dans ce métier par vocation. Quand on commence à penser qu’on ne fait pas bien notre travail, c’est un signe de grande souffrance», regrette Julien Terrié. «Le salaire du personnel soignant qui fait des horaires importants et des tâches pénibles n’est pas à la hauteur de leur travail», déplore également Jean Thévenot.
Un des problèmes à Toulouse réside aussi dans l’importante croissance de la population. Chaque année, les besoins de santé croissent beaucoup plus rapidement que les moyens tant humains que financiers accordés au CHU. Recours aux cliniques privés ou embauche de personnel ? Les patients qui tapent à la porte de l’hôpital devront bien être accueillis quelque part.
LE PERSONNEL DU CHU EN CHIFFRES
Sur l’année 2013 :
10575 ETP (équivalent temps plein) au CHU.
3310 ETP infirmiers et infirmiers spécialisés.
2270 ETP aides-soignants et auxiliaires de puériculture.
Soit, au total, 6909 infirmiers et aide-soignants : 63% du personnel hospitalier.
Charges relatives au personnel du CHU : 609M€
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